Martin McDomagh aura mis une décennie pour réaliser 3 films. Son troisième long métrage « 3 billboards outside Ebbing » est sans aucun doute son plus aboutit et mérite amplement les louages reçues aux golden globes 2018.
Une fois passée la barrière d’un titre français aussi grossier qu’inepte et une affiche principale légèrement kitch, on se laisse immédiatement happer par un film débordant d’idées, doté d’une personnalité aussi forte que celle de ses personnages.
Les similitudes avec le cinéma des frères Cohen sont nombreuses. L’attribution du rôle principal à Frances McDormand, reine incernable du glacial « Fargo », n’y est pas étrangère. La méthodologie de la scène d’ouverture proposant les 3 panneaux publicitaires en plan large et sous différents angles de vue qui serviront par la suite au découpage scénaristique du métrage rappellent indirectement l’ouverture de « Barton Fink » qui se focalisait sur la machinerie des coulisses d’un théâtre, cœur mécanique et cadre coercitif du récit auquel le spectateur est en passe d’assister.
Le film recèle bien trop de richesses pour qu’une modeste critique prétende à leur exhaustivité. S’il ne fallait retenir que 3 arguments :
L’écriture de tous les personnages, sans exception, est un modèle d’aboutissement. Jamais manichéen, toujours dans les nuances du gris, chacun d’entre eux possède des raisons pour que l’attachement émotionnel du spectateur s’opère immédiatement. L’auteur s’en délecte tout au long du métrage en mettant à l’épreuve notre attachement aux nombreux choix cornéliens auxquels les personnages font face (incriminer un responsable - qui plus est symbolique - en dépit de la précarité de sa situation personnelle, le rapport au suicide, le rejet social raciste, homophobe, la confusion de la justice et de la vengeance…). McDormand aussi brutale que brutalisée est impériale. Harrelson aussi solide familialement et professionnellement que démuni face à la maladie est également un choix de casting judicieux (bien qu'il faille reconnaître la linéarité de son personnage, moins qualitatif que ses homologues. Heureusement que le rôle est interprété par Monsieur harrelson). Rockwell, aussi déraisonné/fachisant que doté d'un courage rédempteur, l’œil habité, rappelant avec effroi son rôle de meurtrier anarchique dans « la ligne verte » propose une performance tout aussi remarquable que dans « l’assassinat de Jesse James… ». Dinklage en amoureux transit est aussi touchant que cocasse. Caleb Landry Jones ne laisse pas non plus indifférent dans son rôle de naïf juvénile, profondément humaniste.
La gestion du rythme est également à souligner. En partie due à un jeu d’acteur méritant, la succession de scènes que McDomagh nous propose est un véritable rollercoaster émotionnel. Le cœur du film divertit autant qu’il émeut en l’espace de quelques secondes. Transition de registre toujours adroite à l’image de la discussion entre les deux chaussons de Mildred, léger rayon de soleil réchauffant instantanément l’une des scènes les plus puissantes du récit.
Cette gestion du rythme est également due à un recours pléthorique aux différents mécanismes narratifs : deus ex machina au service de la forme humoristique tout autant que du fond scénaristique, mini twist en plein cœur du film, utilisation parcimonieuse de la musique, intrusion de personnages tertiaires nouveaux pour les besoins d’une scène unique. Le montage y contribue également : la linéarité de l’alternance des scènes comiques / tragiques de la première partie du récit est vite brisée par un montage croisé mettant en parallèle l’évolution narrative, souvent à contrecourant, de deux personnages spécifiques.
Pour parachever cette œuvre déjà réussie, McDomagh nous propose un scénario d’une profondeur remarquable. Le propos comique est toujours au service d’un message sociétal de fond (à l’image du plaidoyer de Mildred comparant le sectarisme des gangs de rue à l’hypocrisie religieuse). Le propos tragique sert toujours l’intérêt émotionnel des personnages (la maladie de Willoughby rend l’arc narratif de Mildred plus nuancé dès le départ de l’intrigue). Le propos scénaristique est remis en question par son propre auteur (la scène entre Mildred et la biche, autocritiquée dans son aspect iconique de la réincarnation pour alimenter la profondeur du personnage principal qui, au lieu de rester interrogative, analyse la situation pour en tirer profit.
La scène finale, et les ultimes mots prononcés par Mildred posent tout en simplicité la lourde responsabilité américaine dans son rapport à la justice, à la rancœur et à l’impartialité du jugement parachevant un scénario maitrisé de bout en bout.
Côté mise en scène, le film est un peu plus en retrait. A l'instar de quelques scènes qui surnagent (l'incendie du commissariat, celui des panneaux) les idées de mise en scène et les compositions de cadre n'ont rien d'exceptionnel. Quelques travaux pertinents sur les valeurs de plan, un unique plan séquence sans finesse et une photographie acceptable n'égalent pas les principaux atouts précédemment évoqués, ni la qualité des dialogues.
L'ensemble de l'oeuvre reste cependant très largement supérieur à la moyenne des sorties hebdomadaires, suffisamment supérieur pour le souligner.
A l'image des personnages, régulièrement à bout de souffle, la progression du récit coupe parfois celui du spectateur, notamment grâce à son rythme haletant, le tout au service d’un message politico-social qu’il serait nécessaire de crier à gorge déployée, « 3 billboards outside Ebbing » laisse derrière lui un parfum jouissif et complexe que l’on a envie d’humer… à pleins poumons !