Comment passer à côté de son sujet : méthode parisienne

Quel gâchis. Marketé comme un film de Rémi Bezançon, simple, léger, concentré sur les relations humaines franco-françaises. Le genre de métrage dont le trailer affirme son envie de bien faire au cours d’une période où les sorties ciné regorgent de thématiques rigides (l’insulte, la douleur, jusqu’à la garde…), qui fait passer un bon moment de détente, sans autre prétention. Il ne faut pas plus de 5 minutes pour se rendre compte de l’échec intégral de « Gaspard va au mariage ». Cette bouillie, froide et terne, semble immédiatement résulter d’un problème général : un film sur l’univers zoologique dans une campagne française, s’interrogeant sur le rapport de l’Homme à l’animal ne peut pas fonctionner s’il est fait par une équipe de parisiens qui n’ont jamais mis les pieds de l’autre côté du périph.


Outre les innombrables carences dans les arcs narratifs des personnages, les incohérences scénaristiques et une moralité digne d’une chanson de Patrick Sébastien en fin de soirée, la frustration est générée par une appréhension totalement inconséquente de la nature. Là où l’on s’attendait à de beaux plans qui s’attardent avec langueur pour capter la lumière du crépuscule enveloppant progressivement le parc, on a droit à des ralentis sans aucun intérêt sur des personnages qui marchent dans des cadres sans composition. Là où on s’attendait à un rapport filmique sincère avec les animaux, on nous offre des plans découpés à la hache plusieurs fois par seconde (4 plans successifs pour matérialiser l’explosion d’un petit bouchon de champagne, c’est fort !), le tout séquencé dans un montage du niveau d’un apprenti charcutier parkinsonien.


Quiconque est déjà allé enjamber une clôture électrique pour traverser un champ utilisera son pied plutôt que sa main. La totale incompréhension de la nature est trahie dès la première scène.


Jamais la nature n’est gratifiée d’un joli plan, jamais les animaux ne se font la part belle du cadre, sauf pour servir le prétexte de vannes douteuses et réchauffées (à l’image de Laetitia Dotsch, qui décide de briser la glace des relations avec sa pseudo belle famille en évoquant le poétique et élégant sujet du fistage).


Impossible de s’attacher aux personnages dont on ne nous propose aucun ancrage affectif et qui arborent des personnalités à la limite du détestable. Figure de proue, Laetitia Dotsch. A l’image de « Jeune femme » où il était impossible d’éveiller la moindre once de compassion pour un personnage englué dans des mensonges intéressés dont elle ne se repend jamais, elle est ici l’incarnation d’une activiste paumée qui ne sait même pas la cause qu’elle sert mais qui est en revanche prête à se jeter d’un train en marche… sans aucune raison. Jamais naïve puisqu’elle comprend les enjeux sentimentaux de Gaspard, mais jamais cohérente non plus lorsqu’elle fuit devant le plus mignon des bébés tigres. Modèle de comédienne totalement impassible engoncée dans une écriture des plus maladroites.


Johan Heldenberg, convaincu comme un Matt Damon des grands jours, dans son rôle de père de famille volage est le seul prétexte à l’évolution d’un récit qui patauge dans des dialogues insipides et sans intérêt plutôt que de diriger l’objectif vers la sublime maison qui abrite les personnages, ou le parc qui l’entoure. A l'image de l'insert de la scène du tatoueur, sans intérêt narratif, uniquement présente pour introduire on ne peut plus maladroitement le personnage de la future mariée.


A souligner également le personnage de la sœur de Gaspard, à moitié consanguine et persuadée qu’une partie d’elle est un ours, au point d’un revêtir une peau, mais tout en conservant la féminité de porter une robe en dentelle blanche immaculée, pas du tout ridicule pour préparer 600kg de nourriture à 6h du matin. Elle n’a pas de mec car « elle pue », prétexte sa famille. Et Laetitia Dotch d’enchérir que c’est pas grave, il y a des mecs qui ça dérange pas « elle a qu’à sortir avec un éboueur ».


Mépris parisien niveau : Geneviève de Fontenay. La salle s’esclaffe béatement et suffisamment fort pour que je réalise que le film a touché son public cible, celui qui le sens critique d’une huitre échouée sur une plage au soleil.


Le métrage est jalonné de morales des plus douteuses. Le père est victime d’eczéma qu’il prétend soigner à l’aide d’une médecine alternative : les poissons. Seulement ça ne marche pas parce qu’en fait c’est un prétexte pour une énième scène de nu sensée satisfaire les couards refoulés qui n’ont pas eu le courage de pousser la porte de la salle projetant « 50 nuances plus claires ». Piteux message sur les vertus d’un rapport raisonné à la médecine et aux alternatives écologiques.


Notons quand même que le spectateur, venu chercher des émotions romantico-bucoliques déplorera plus d’animaux morts que vivants au cours de ce film (et sans avoir besoin de compter les poissons !). L’échec ne peut être plus magistral.


Des faux raccords assez ahurissants (la luminosité du ciel dans les scènes d’extérieurs, l’impact de la fléchette anesthésiante sur le mollet de la sœur qui remontera jusque sous ses fesses pour justifier un énième plan tapageur…) conforte l’idée d’un film réalisé pour toucher un public... spécifique.


On se demande ce que peut bien faire Marina Foïs dans ce marasme tant elle surnage sans y croire. Quelques mois après « L’atelier »…


Ce qui est vraiment désolant, c’est que le sujet de fond est aussi intéressant que ce qu’il est d’actualité. Les normes stéréotypées de comportement, le rapport aux animaux, aux projets familiaux, l’acceptation de la différence et l’entraide familiale… Dans une société qui n’a jamais autant subi le conformisme, où Trump propose des décrets de mise à mort des ours polaires et où l’exclusion est visible à chaque coin de rue, ce film était pertinent. C’est précisément cette frustration qui incite à l’intransigeance.


On relèvera quelques rares qualités : le livre des inventions, drôle et surprenant, qui donne un second souffle à la personnalité de Gaspard et l’idée métaphorique du réparateur d’ascenseur particulièrement à propos dans son contexte familial.


La campagne française, l’authentique, a été filmée par Hubert Charruel il y a 6 mois dans « Petit paysan ». Le cinéma de genre paysan n’a probablement pas grand-chose à voir avec cette comédie inconséquente mais au moins, on y ressent envie et sincérité, tout ce qui manque à ce « Gaspard va au mariage », qui ne mérite que l’oubli.

DannyMadigan
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le 8 févr. 2018

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Paul Clerivet

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