1987, en Roumanie, Otilia, étudiante, va aider sa camarade de chambrée Gabita à avorter. L'avortement étant un crime, elle font appel à un faiseur d'ange, Monsieur Bébé.
Sur un sujet qui peut s'avérer très vite polémique, le réalisateur Cristian Mungiu choisit une narration se déroulant quasiment en temps réel, et en majeure partie en huis-clos. Le spectateur est pris en otage, l'œil collé aux infortunes des deux jeunes étudiantes, qui vont subir un éprouvant rituel de passage vers un monde adulte, sombre et brutal. Otilia, l'héroïne du film, est une combinarde née, la roumaine typique de l'ère soviétique où la débrouillardise fait partie du quotidien. Face à la mollesse de Gabita, elle prend rapidement les choses en main. Elle dit même oui à son petit ami qui insiste pour la présenter à sa famille et qui ignore tout de l'avortement. Et ce même si le repas est prévu juste après l'avortement.
Otilia va pourtant aller jusqu'à bout de sa logique interne, au prix de sacrifices personnels hors normes. Les motivations de chacun ne sont pas expliquées, abandonnant le spectateur à ses interprétations et aux silences qui pèsent comme des couvercles, à l'image d'une Roumanie mutique et violente. La désynchronisation extrême des préoccupations de chacun prodigue une tension palpable et éprouvante. Les choix, l'entêtement d'Otilia, la faiblesse (apparente) de Gabita, leur naïveté exaspèrent en même temps qu'ils peuvent être compris, à défaut d'être acceptés. Monsieur Bébé, profiteur sans vergogne, incarne un nocher des Enfers manipulateur et cynique, qui sera finalement écouté à la lettre par l'héroïne.
Cristian Mungiu m'a fait penser de loin à Lars Von Trier. En tant que spectateur, je ne savais pas où il m'emmenait, il a su installer une tension psychologique qui tient en haleine, la forme est personnelle, maîtrisée, et le traitement narratif dépasse le sujet. Là où les Césars lénifient, Cannes une fois de plus surprend en accordant le prix de l'Éducation Nationale puis la Palme d'Or à 4 mois, 3 semaines, 2 jours.