[Ce "retour" sur 'a Beautiful Day' - on lui préférera d'ailleurs son titre original 'You Were Never Really Here' - contient des spoilers]


Babylone


Dès la scène d'exposition, le calme est saisi et les premiers éléments narratifs s'entremêlent.
Conçu comme une lente, lente ascension vers la surface, 'a Beautiful Day' met d'abord en scène la lutte entre Joe, un traumatisme ambulant, et Dante, c'est à dire ses regrets, ses fautes, ses erreurs, et ses échecs. Ses cicatrices, aussi : celles qui lui labourent le torse, le dos et les bras ; et les autres, celles que l'on devine, celles que l'on ne caresse pas, celles qui saillent dans un regard, que trahissent le sursaut d'une mâchoire, la contraction incontrôlable d'une pommette, le tressaillement fugitif d'une lèvre. Les ruelles sombres où s'aventurent encore la peine de Phoenix post-figurent une Babylone bruissante et moite, de celles que seul notre siècle peut encore édifier, ces Babylone que Dieu ne punit plus, ces Babylone que Dieu absout par le silence.


Primaris


Phoenix campe donc un noyé dont le long-métrage trahit furtivement l'enfance interrompue, la colère sourde et céleste. Brutal car brutalisé, son personnage détruit ne s'exprime plus qu'à travers la destruction : il tambourine ses syllabes péniblement, éructe des mots comme comme un païen réciterait les mauvaises prières, et la bande-son du film souligne cette quête primaire du sens et des sens. Le staccato des notes épouse celui des coups, comme une ponctuation barbare, comme un martèlement authentique et guerrier. Derrière Phoenix, l'Humanité toute entière se mord la queue : les bourdonnements électroniques contemporains ont enfin épousé les percussions d'hier. L'ambition suprême est similaire : flatter l'instinct, la pulsion et la fulgurance.


Dieu, que la violence est belle


Ce sombre héros de l'amer, dont on filme ici les cicatrices comme d'autres filment les tranchées ; cet apôtre de la peine de mort dé-laissée; cet enfant interrompu à la musculature abrupte, la rage en friche, la haine chevillée au corps ; il faut le voir brandir la contondance comme une rédemption fugitive, il faut le voir tutoyer le mal, foudroyer le mâle. Et Dieu, que la violence est belle. Désynchronisé, Phoenix trébuche plus qu'il ne marche ; ses épaules s'affrontent pour atteindre les cieux et sa musculature est laide, comme un cancer, comme une protubérance, comme si la douleur de l'Homme s'était affirmée trop rapidement dans la carcasse de l'Enfant. Et pourtant, Phoenix n'a jamais aussi bien porté son nom.


Close Your Eyes


Qu'un homme ne s'exprimant plus qu'à travers la destruction s'improvise protecteur d'une jeune femme chez qui la fugue et la mise à mort font figures d'ultime élocution tend à périmer l'analogie effectuée entre 'a Beautiful Day' et un énième 'La Belle et la Bête'. Phoenix n'est et ne sera jamais en position de sauver l'innocence de Nina, et ne cherche pas, en la protégeant, à effacer son propre traumatisme. Elle est déjà, à la première seconde du film, abusée, violée, ce dont témoignent les suites de nombre qu'elle psalmodie comme Phoenix et sa mère déclament une comptine, pour échapper à l'instant présent et reconstituer, dans un maelstrom d'émotions et de pulsions contradictoires où les systèmes référentiels s'entrechoquent comme des balles perdues, un semblant de havre de paix.


Faire Injure à la Mort


Phoenix, incapable de parler ou de ressentir, errant d'un traumatisme à l'autre, écorche son environnement halluciné ; il meure souvent et veut mourir plus souvent encore, sans idéologie, mais doit d'abord faire la paix : avec son père, qui s'incarne dans cet assassin mourant ; avec sa mère, égérie défaite par le temps, brisée et dévoyée par les hommes ; et avec lui-même, éternellement convaincu d'avoir échoué, convaincu de son incapacité, jamais sauveur, toujours sauvé. Nina, Nina seule, lui sort au final la gueule hors de l'eau, lors d'une mémorable scène de contre-baptême reprenant le fil rouge de l'ascension... pour atteindre la surface, et non plus pour s'élever vers les cieux. Phoenix n'a jamais vraiment été là. Surtout, il n'a jamais été le héros de l'histoire.

Curtisian
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le 28 nov. 2017

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Curtisian

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