Il ne faut pas s'attendre à un film agréable et reposant avant d'entamer A Brighter Summer Day, dont le titre et l'affiche lumineuse pourrait porter à confusion. C'est d'ailleurs un beau paradoxe puisque le titre original est plutôt "L'affaire du jeune meurtrier de la rue Guling", laissant entrevoir une toute autre atmosphère comme issue, au film.
Véritable plongée dans les années 60s à Taiwan, le film d'Edward Yang évoque les difficultés d'intégration sociale, qu'il s'agisse des adultes ou enfants alors que Taiwan est de nouveau sous l'emprise de la Chine. D'une durée de quatre heures, le long-métrage fonctionne exactement comme son introduction laisse à entendre, à l'image du jeune protagoniste récupérant une lampe torche sur le tournage d'un film, il s'agira de déceler le hors-cadre pour saisir toute la détresse psychologique de ce peuple. S'il est certain d'une chose, c'est que le film d'Edward Yang est une longue tragédie, où toute une communauté tente de vivre le jour, mais vit en réalité la nuit.
Amourettes diverses, soupçons de corruption politique comme violence entre immigrés, personne n'est parfaitement stable sur ce nouveau territoire, dont l'emprise politique américaine se fait ressentir à tous les niveaux. C'est une jeunesse en désarroi, traversant une crise identitaire, ne sachant plus à qui se confier ni quel rôle à jouer pour se sentir intégré. Progressivement, et comme ses parents, le jeune Xiao Si'r voit ses espoirs mourir devant lui, voyant et ressentant l'exact inverse de ce qu'il avait imaginé.
A Brighter Summer Day fonctionne donc, comme une bombe à retardement, dont les moments les plus sincères, où les relations affectives expansent, reviennent au Jour, pour le peu de lumière que Taiwan puisse projeter indépendamment de toute autre sphère sociale, culturelle. Il est très intéressant que le jeune ami du protagoniste souhaite d'ailleurs reprendre les chansons d'Elvis en Taïwanais plutôt qu'en anglais, bien sûr à cause des difficultés linguistiques mais également pour qu'il puisse apporter un peu de sa personne à ce qu'on lui dicte de faire.
Rappelant le West Side Story comme l'impossibilité amoureuse d'un Roméo et Juliette de Shakespeare, le film représente contrairement aux deux références, la jeunesse comme emprise aux mêmes dilemmes que leur responsables éducatifs (parents et professeurs), tentant d'agir et de faire avancer les choses, mais reculant au moindre pas lorsqu'il le faut. Yang choisit ainsi de multiplier les échanges communautaires, a minima de l'introspection de son personnage principal et des confessions amicales/amoureuses pour illustrer toute cette pression de groupe, sociale et politique vis-à-vis de ce que risque le père, du fils.
Il est inutile de préciser que les cadres sont absolument splendides, le réalisateur prenant de la distance pour filmer l'individu parmi tant d'autres, comme usant des travellings pour la terrible séquence de revanche de gang au sabre et les déplacements au jour. Plusieurs scènes dans le long-métrage se répondent parfaitement, mais s'il y a bien un contraste majeur à retenir, ce serait le réconfort qu'apporte Si'r à Ming
suite au décès d'Honey
,
, toujours enfermé dans le cadre et encerclé, et la fin, où le personnage sombre dans le meurtre passionnel, pour ne pas avoir à souffrir davantage intérieurement.
La lumière des soirs comme le choix des cadres multi-dimensionnels participe à illustrer cette politique de la Terreur blanche, réprimant les intellectuels comme l'élite sociale à raison du soutien apporté au Parti communiste chinois. Tout un ensemble qui, abstraitement est soumis au contrôle de l'autre, qu'il s'agisse de la jeune fille que l'ensemble des garçons souhaite prendre sous son aile, comme les membres des gangs agissant dans l'ombre de leur chef, le jeune garçon suivant aveuglément les instructions de ses parents, etc.
A Brighter Summer Day est entendu dans la chanson Are You Lonesome Tonight? d'Elvis Presley, et bien qu'elle soit encore le fruit d'une influence culturelle populaire et standardisée, elle est très significative pour la jeunesse. Le besoin de se confier, parler et s'aimer, c'est celui d'un pays déraciné, ne demandant que reconstruction.