"Pourquoi est-ce qu'il neige ?"


C'est sur cette question posée par une petite fille que s'ouvre Edward aux mains d'argent (avec une magnifique bande son de Danny Elfman). Sa mère, doucement lui raconte alors une histoire : il était une fois un inventeur ayant décidé de créer un homme. Il lui donna tout, sauf une chose : des mains.
Tout de suite, l'histoire prend un air de conte de fées : tel un parent nous lisant un recueil de contes près du lit, le film nous promet de nous raconter une douce histoire que l'on pourrait raconter à une petite fille (l'ost jouant au début s'appelle d'ailleurs Storytime). Et en effet, au début la douce héroïne mère de famille trouve Edward seul dans son manoir et l'accueille chez elle par pure bonté d'âme. Inconsciemment, on s'imagine tous les schémas classiques du conte de fées : une quête à accomplir, la découverte de l'amour, une Happy end...


Cependant, en pensant ça, on oublie une chose : c'est un Tim Burton. Et Tim Burton n'est pas du genre à raconter des contes de fées classiques.


Et rapidement, le film se transforme.


Tout ce que l'on pensait être les enjeux principaux du film - l'acceptation d'Edward par les autres, sa recherche d'une quête - vont être presque immédiatement réglés : les voisins acceptent Edward immédiatement, Edward va très vite développer des talents artistiques qui vont faire sa renommée... Mais alors, que reste-t-il ? Tout simplement deux choses, dont la première est frappante par sa cruauté : l'absurdité de la société dans laquelle les personnages vivent.


Edward (joué par Johnny Depp - c'est d'ailleurs le rôle qui sonnera le début de sa grande amitié avec Burton) est un homme innocent, talentueux, artiste et fondamentalement bon. Il est un être moralement pur, malgré le fait qu'il soit physiquement inachevé.
Cependant, les autres personnages du film (sauf Kim à la fin) sont dans l'incapacité totale de le comprendre. Il est trop étrange, mais surtout trop innocent. En le trouvant, le premier réflexe de la mère de famille est de soigner ses blessures, l'amener chez elle et lui faire porter des vêtements classiques, comme si elle essayait de rendre normale l'étrangeté qu'Edward représente.
Tous essaient de lui donner un rôle dans cette société qu'eux-mêmes détestent - l'une des femmes aux foyers dit (en parlant des réparateurs qui s'ennuient) "les femmes aux foyers s'ennuient aussi, sauf qu'elles elles n'ont pas de pubs" - simplement parce qu'ils ne savent pas faire autrement : il sera vu tantôt comme quelqu'un d'utile pour couper les cheveux et tailler les jardins, puis un objet sexuel, puis un crocheteur utile et enfin un dangereux psychopathe. Au début pourtant, tous (sauf la fanatique religieuse, aveuglée par des croyances devenues stupides) voient que c'est quelqu'un de bon, mais ils ne peuvent le laisser vivre sa vie car ce n'est pas normal : il doit trouver sa place, son rôle à jouer dans cette pièce de théâtre sinistre. Mais il n'y a pas de place pour les gens comme Edward, comme le montrent la caméra filmant les voisines en contre plongée (leur donnant un air effrayant) et la colorimétrie isolant constamment Edward noir et blanc au milieu de cette ville pleine de couleurs criardes.


Alors il se réfugie dans l'art. Il taille des haies, créé des coupes de cheveux, puis, en coupant des blocs de glace, créé la neige sous laquelle Kim, émerveillée, dansera - métaphore de l'artiste qui inspire les autres sans s'en rendre compte.
L'art est le seul refuge d'Edward, la seule chose qui soit à portée de ses mains (ciseaux), la seule chose qui lui permette de s'exprimer, de montrer qui il est. Sans l'art, Edward n'est pas.
Évidemment, on pense alors tout de suite à Tim Burton lui-même, et il est intéressant de relever qu'Edward est un avatar qu'il a créé lorsqu'il était adolescent, qui symbolisait toute sa souffrance de ne pas trouver sa place.


Oui, car Edward est certes pur, innocent et artiste, mais "il casse tout ce qu'il touche" comme lui dit le copain de Kim (qui d'ailleurs agit de manière horrible car son père lui-même est horrible). Ses ciseaux, symboles de son côté artistique, sont aussi une preuve de son inadaptabilité au monde : lorsque Kim lui demande de la serrer entre ses bras, il dit "je ne peux pas".
Aussi, le père de famille lui fera une leçon de morale où il essayera de lui apprendre que donner de l'argent trouvé à la police est plus moral que de le donner à ses amis, sans grand succès car les autres membres de la famille ne sont pas d'accord - pourquoi ? Car la morale dans cette société est floue et distordue, et ne peut s'appliquer à un être aussi pur qu'Edward. Contrairement à ce que dit le docteur, Edward est parfaitement capable de distinguer le bien du mal, c'est juste qu'il n'est pas capable de comprendre la société et que la société n'est pas capable de l'accepter dans toute sa complexité et sa pureté. Il n'y a alors qu'une seule solution à ce problème, dictée par Kim : run. Edward, à la fin du film, reviendra au manoir, là où tout a commencé (ce qui est totalement à contre-courant des contes de fées) et continuera sa vie. La seule preuve de sa présence sera la neige qu'il verse sur la ville en taillant des blocs de glace depuis son manoir, et même cette preuve est tangible : Edward, qui au tout début du film fantasmait sur cette société qu'il ne connaissait pas, finira plus isolé que jamais.


Le film, critique acerbe de la société bourgeoise conformiste, pourrait alors paraître bien sinistre. Cependant, il reste une deuxième chose au film, une chose qui lui fait prendre une saveur toute particulière qui donne envie de le revoir en boucle : l'amour, et pas seulement l'amour romantique.


Bien sûr, on pense en premier à Kim, la belle blonde (jouée par Winona Ryder) qui tombera progressivement amoureuse d'Edward ce qui lui permettra de le voir simplement tel qu'il est, et non pas au travers d'un rôle qu'on lui a attribué.
Mais il y a aussi l'amour de la mère qui l'a accueilli chez eux, le soignera et le considérera tout le long comme son fils, tout comme le père qui ira jusqu'à l'appeler "fiston". Il y a aussi l'amour du policier qui, selon ses dires, "s'inquiète pour lui", et qui à la fin au lieu de le tuer comme demandé choisira de le laisser repartir en paix.
Et enfin, on peut remarquer qu'à la fin, quand Kim fait croire qu'Edward est mort, les voisins sont loin de paraître heureux, et l'on peut presque percevoir du regret dans leur attitude.


Ce film qui parle d'exclusion sociale, de société pervertie et d'ennui (au sens philosophique du terme) déborde d'amour, et c'est ce mélange habile entre cruauté et amour qui fait que ce film est mon deuxième film préféré de tous les temps. Au fond, tout le monde aime les artistes et le monde a besoin d'eux : sans eux nous ne nous émerveillerions jamais, et notre vie ne serait qu'une pièce de théâtre morne où l'on jouerait un rôle sinistre.


Heureusement qu'ils sont là pour créer la neige.

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le 13 juin 2020

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PuduKazooiste

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