Venise coule disaient-ils.
Jaloux. Jaloux, les malandrins de la grandeur de la cité, de sa splendeur, de sa magnificence. Paradis de la noblesse, refuge des hautes classes, vivier de criminels. Car l’ostentation appelle le crime. L’apparat engendre le désir qui se fera besoin. Ce que l’on souhaite, par-dessus tout – et même si l’on a déjà tout – ce que l’on appelle chaque jour plus ardemment de ses vœux, c’est ce que l’on n’a pas.
S’il fallait une morale, et il n’y en a pas, ce serait sans conteste celle-là.
Venise, splendeur fanée d’une noblesse déchue. Oisive bourgeoisie en mal d’amour, en peine de vie, cible facile pour escrocs de haut vol.
Venise, romance subtile et faux-semblants, naissance fiévreuse et romanesque d’une idylle criminelle. Mélo pénible et peu convaincant, poncifs du genre à tous les tournants, mièvres marivaudages, beaux arnaqueurs et nigauds arnaqués.
Mais la beauté, tout comme l’argent, n’a pas d’odeur – sauf chez Colet et Cie – et peut s’épanouir où bon lui semble. Elle est partout à Venise, capitale du bon goût. Elle se déguste sur un balcon, admirant la ravissante mise en lumière de la non moins ravissante dame parcourant en gondole la lagune éternelle. Elle s’invite, indiscrète compagne d’une caméra au dynamisme fulgurant, à la table de ce couple naissant. Elle s’offre même le spectacle lamentable mais résolument orchestré d’un pauvre hère entourloupé.
Sublime et trompeuse Venise, tu n’étais qu’illusion, douce mise en mouvement.
Fourmillante capitale, Paris terre de promesse, de richesses décuplées mais aussi de danger.
Ici débutent et s’achèvent, se nouent et se dénouent, les plus indicibles complots. Les masques sont multiples et plus vrais que nature. Qui est qui ? Qui vole qui ? Qui aime qui ? A mesure que s’imbriquent les destins, la réalisation se densifie, les contrastes sont rognés au profit d’un clair obscur bienvenu.
Paris, décomplexée. Capitale de l’amour et du rire. Le rire est franc devant les pitreries du Major ou du trublion Filina, oubliés par la chance il faut bien l’avouer. Il est plus subtil, plus durable lorsqu’il est de situation, lorsqu’il se plait à titiller les faiblesses de l’être humain, lorsqu’il se veut décent et abordable, durable et intemporel.
Paris, éternelle. Intemporelle sans conteste, peuplée d’hommes et femmes d’une humanité salvatrice. Cette humanité, cette vie, traverse les âges et ancre fermement un récit somme toute conventionnel dans les esprits pour longtemps. Grand cru savamment vieilli en cave parisienne, il se bonifie et s’exalte, arborant fièrement son âge respectable, nullement effrayé par la fougue et la modernité de la jeunesse.
Paris, sensuelle et débridée. L’amour sincère – ou supposé – est peu de chose quand promiscuité et beauté fatale se mêlent à l’assemblée. À la quasi-chasteté vénitienne, Paris oppose ses folles nuits et rendez-vous secrets.
Jeu de dupe insolent mais diablement attachant. Prouesses techniques et dialogues ciselés. De Venise à Paris, jamais ne s’essouffle la course effrénée de ce couple atypique, fuite en avant teintée de grâce, d’humour et de sournoiserie, vers un idéal inconnu et finalement illusoire car posséder c’est s’ennuyer quand voler c’est exister.