Thomas Vinterberg chérit le désespoir. A la suite des grandes figures du romantisme littéraire, il pense vraisemblablement que de la douleur naît la beauté. C'est assez vrai, à en croire sa filmographie. De souffrance - essentiellement morale - il est toujours question chez le réalisateur danois. Drames familiaux dans Festen et Submarino, descente aux enfers dans La Chasse... Le cinéaste déploie des trésors de noirceur, à chaque fois incroyablement incarnés par des acteurs habités.
Ici, Mads Mikkelsen. Existe-t-il actuellement acteur au charisme comparable ? Pas le souvenir de l'avoir vu jouer à moitié ou faire un mauvais choix de film. Son visage étrangement beau, sa haute stature qui dit bien sa droiture tout stoïcienne, l'intensité des personnages dont il endosse l'histoire font de lui un acteur à part que, personnellement, je révère.
La Chasse, dont l'intrigue rappelle Les Risques du métier avec Brel, nous place face à Lukas/Mikkelsen, un instituteur injustement accusé d'abus sexuels sur l'une de ses élèves, qui n'est autre que la fille de son meilleur ami (le toujours excellent Thomas Bo Larsen, qu'on croisait déjà dans Festen). En quelques mots susurrés sans véritable précision, juste pour raconter des bêtises, Klara a poussé le détonateur qui va souffler le quotidien de Lukas.
De personnage entouré au large cercle d'amis, l'instituteur devient l'ennemi public, celui dont on refuse l'entrée au supermarché, à qui l'anonyme casse la gueule, qu'on traite de tous les noms. Mikkelsen est bouleversant, paraît sonné, peut agacer par son calme un poil flegmatique.. Il finira par exploser, au cours d'une scène de messe absolument déchirante où les échanges de regards sont la seule jauge capable de dire le vrai.
La situation va de Charybde en Scylla, comme souvent chez Vinterberg, le film se fond dans une mélancolie glaciale, prend des allures de thriller. La photographie est brillante, bucolique, la proximité de la forêt impose sa puissance symbolique (animalité, violence latente) et le jeu des acteurs est saisissant de vérité, sans jamais aucun excès, en gardant toute leur pudeur et leur sobriété. Mention spéciale à la scène finale, qui semble rendre concret le concept de l'épée de Damoclès. Et puis ce dernier plan de Mads, dont on devine la peur qui plus jamais ne le lâchera.
Un chef-d'oeuvre intense et révoltant sur la question de l'injustice, du doute, de la confiance et de l'amitié, magnifiquement mis en scène par un Vinterberg ténébreux : grandiose.