La morbide et délurée famille Addams est née sous la plume de l’illustrateur Charles Addams à la fin des années 1930. Il lui faudra pourtant encore quelques décennies avant qu’elle ne soit adaptée, d’abord avec l’excellente série télévisée de 1964, suivie d’une série animée et d’un téléfilm, avant que la licence ne s’endorme à la fin des années 1970.

Elle se réveille avec le sourire en 1991. Car pour sa première apparition sur le grand écran, le film de Barry Sonnenfeld est une belle réussite, qui sera suivie d’une suite deux ans plus tard et de nouveaux produits dérivés, séries animées, jeux vidéo ou jouets. Un pari qui aurait pu être difficile à relever quand on transcrit le cadre fantasmagorique de la licence au sein d’un film filmé avec de vrais acteurs.

Pour ce retour, la production utilise une petite astuce pour faire découvrir la vie de cette famille. Celle de l’absence de Fester, le frère de Gomez, suite à une brouille datant de 25 ans. Pour leur avocat véreux Tully Alford accompagné de l'arriviste Abigail Craven, il s’agit d’une occasion en or pour s’emparer du trésor de la famille soigneusement caché. Car le fils d’Abigail présente une forte similarité avec le frère disparu, qu’ils vont donc chercher à faire passer pour lui.

Avec ce faux Fester, le spectateur fait la connaissance de cette famille folle, d’un gothique éclatant. Gomez est le chef de famille, au sang bouillant, prêt à s’emporter dans la joie ou la passion. Sa femme Morticia semble une émanation spectrale, avec sa peau blanche, sa robe noire et ses douces paroles. Mais derrière cet épiderme livide bat un coeur de femme et de mère. Les deux enfants sont Pugsley et Mercredi, qui n’aiment rien de moins que les jeux mortels, encouragés par leurs parents. Lurch, le majordome et ses airs de créature de Frankenstein, n’est malheureusement guère présent, tout comme la vieille Grand-mère. La Chose, main baladeuse, trottine elle en toute liberté grâce aux progrès de la technologie. La caméra se met d’ailleurs souvent à son échelle, notamment pour s’amuser de cette main courir avec ses petits doigts sur le sol de ce manoir.

La Famille Addams est une famille joueuse et aimante, toute plongée dans son univers de film d’horreur qui serait sans angoisses. Les armes sont légion, disposées sur le mur, prêtes à être empoignées pour un duel improvisé. La nourriture s’apprécie mieux si elle est encore remuante. Leur manoir est une gigantesque maison gothique, que le film montre un peu décrépit, les toiles d’araignée ne sont pas loin, les papiers-peints sont usés. Il nous est montré sous de nombreuses coutures, avec de nombreuses pièces, pour mieux l’apprécier. Dans un film d’horreur il serait terrifiant, pour cette famille c’est l’écrin idéal. Cette reconstitution est un formidable travail d’orfèvre, qui sent la vieille bâtisse, la poussière et la joie, un régal.

La mort n’est pas une peur, c’est un soulagement pour cette famille bien spéciale. Certains dialogues sont tout simplement excellents, démontrant les capacités des uns et des autres à s’emparer de la douleur ou du trépas pour mieux nous faire rire. A la plus grande surprise d’intervenants extérieurs, surpris par ce contraste permanent, confus des discussions qui ne mènent jamais à ce qu’ils attendaient. Tully et Abigail les prennent pour des andouilles, ce qu'ils ne sont pas, des pigeons à plumer, à leurs risques et périls. Leur cupidité causera tout de même la chute des Addams, permettant de les confronter au plus près de la réalité extérieure, là encore avec d’amusants décalages.

La distribution est d’ailleurs une belle équipe d’acteurs fortement impliqués, qui, sans atteindre la perfection de celle de la série télévisée, est remarquable. Anjelica Huston ne peut rivaliser avec la belle Carolyn Jones, mais sa Morticia est plus énigmatique, plus troublante. L’agité Gomez est joué par Raúl Juliá, qui a bien du mal à ne pas laisser parler son tempérament. Mais deux comédiens se distinguent, avec d’abord Christina Ricci, épatante dans le rôle d’une petite fille de 11 ans, Mercredi, froide et étrange, une véritable sensation. Christopher Loyd n’est bien sur plus à présenter, mais son interprétation de l’oncle Fester est fantastique, il se fond dans le rôle, avec une plasticité du visage épatante, un faciès grimaçant sur lequel se lisent toutes les émotions possibles, et un comportement pataud, qui va avec sa carrure écrasée. Une prestation incroyable, qu’un petit Oscar n’aurait pas été de trop, pour ce que j’en pense. Le film aura tout de même droit à sa statuette, pour les costumes baroques de Ruth Myers, ce qui reste mérité.

La chose lèverait le pouce, d'accord avec cette affirmation. Cette main baladeuse est celle de Christopher Hart, qui aura d'ailleurs le même rôle "à main nue" pour l'amusante comédie horrifique La Main qui tue en 1999.

Barry Sonnenfeld qui signe là son premier film s’en sort admirablement bien. Il met en valeur la belle mocheté des lieux du manoir, que des acteurs remarquables font vivre de leurs pitreries. Il exploite à merveille le gothique bon enfant du film, qui rappelle évidemment l’esprit de certains films de Tim Burton qui lui-même doit beaucoup à la série, la boucle est bouclée. Le réalisateur fut d’ailleurs pressenti pour le rôle. La bande son est assez proche, ce n’est pas du Danny Elfman mais Marc Shaiman, peu de différences pourtant. Au moins le film a la délicatesse de cacher son embarrassante chanson avec MC Hammer dans le générique de fin, même si je vous invite à découvrir le clip pour découvrir les acteurs qui participent à cette farce (d'autres exemples ici). Il est tout de même dommage que le mythique thème de la Famille Addams crée par Vic Mizzy ne soit proposé qu’en court clin d’oeil dans la scène d’introduction.

Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, si cette version de 1991 ne souffrait pas d’un point tout de même sacrément pénalisant, en la personne de son scénario. Il offre ce cadre formidable, ces acteurs incroyables, ce ton entre la peur et le rire assez jubilatoire. Mais cette histoire de l’oncle Fester est rentrée de force. La famille n’est d’ailleurs pas dupe de l’usurpateur aux débuts, mais tout finira par rentrer dans l’ordre, grâce à la magie de la psychanalyse (pratique) et l’évolution du comportement du « faux » Fester, joué par un Christopher Loyd qu’on pourrait suivre dans les pires fausses routes. Mais pour retomber sur ses pattes lors de la conclusion, le film use d’un procédé un peu gros, tellement facile qu’il jure avec un film qui sait se montrer plutôt malin. Aussi près de la fin, cette excuse scénaristique demande au spectateur de fermer les yeux avec complaisance, quitte à lui laisser cette mauvaise idée dans le crane à la fin de la pellicule.

La production du film connut de grands déboires, à cause de dépassements de budgets, de désistements et de problèmes de santé. On peut supposer que certaines facilités grossières pourraient provenir de ce contexte. Passons donc outre, pour apprécier cette nouvelle naissance de la Famille Addams, qui s’adresse aussi bien aux plus jeunes qu’aux grands (la relation de Gomez et Morticia est d’ailleurs bien sensuelle). Son doux macabre amusant reste la marque de fabrique d’une licence toujours aussi attachante, tant que des personnes qualifiées continuent à jouer avec. Ce fut le cas pour la suite directe deux ans après, même si moins percutante.

Et puisque la licence revient à intervalle régulier pour mieux nous hanter, elle est de retour dans une nouvelle incarnation depuis 2019 et 2021.

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le 20 nov. 2022

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