J’aime de tout mon être ce film, j’avoue néanmoins avoir été désagréablement surpris en apprenant qu’il s’agissait d’un remake (de La mouche noire, un film de la fin des années 50). Je dis désagréablement surpris parce qu’à mon sens, un remake ne favorise en rien l’originalité. Je pense d’ailleurs la même chose des adaptations cinématographiques d’œuvres littéraires.
Un livre est personnel, et dans une certaine mesure, sacré. Dès lors qu’une adaptation cinématographique lui est vouée, il perd à mes yeux son caractère sacré car le cinéaste qui décide de l’adapter apporte son regard personnel (sur une œuvre déjà personnelle), qui la plupart du temps n’arrive pas à la cheville de mes attentes. Et pourtant, des films excellents - presque parfaits - sont des adaptations. La trilogie du Seigneur des Anneaux ou Gone Girl sont les premiers exemples qui me viennent à l’esprit…
Pourquoi cela ? Parce que certaines œuvres ont un potentiel cinématographique certain ? Parce que de grands succès littéraires seront forcément de grands succès filmiques ? Parce que l’industrie du cinéma ne privilégie pas les œuvres originales ? Parce que tout existe déjà, que rien n’est nouveau et que tout est inspiré ?
Je n’en sais rien. Mais à l’image d’une adaptation, un remake ne m’enchante pas vraiment. Alors apprendre que le chef-d’œuvre de Cronenberg est un remake - certes revisité et très libre - n’a pas gâché mon plaisir mais l’a atténuée… La Mouche reste un film fantastique, dans tous les sens du terme.
Déjà, il y a quelque chose qui ne fait qu’accroître l’admiration que je porte pour le cinéaste canadien, c’est la capacité qu’il a à se réinventer (je l’évoquais déjà dans ma critique de Scanners), à décliner ses obsessions sans être dans la démesure ou la redite, à créer des histoires toujours plus troublantes et personnelles.
Dans la première partie de sa carrière en tout cas, Cronenberg s’amuse à malmener les corps et à torturer les esprits, sans perdre de vue l’éternelle sexualité des choses, ou encore la potentielle folie de la science.
Seth Brundle (Jeff Goldblum), un scientifique : son ambition n’a d’égal que sa singularité. Il est gauche, dans son monde et désire changer le monde.
Ses yeux globuleux et son regard vif ne sont pas sans rappeler ceux d’une mouche.
Veronica Quaife (Geena Davis), une journaliste qui voit dans l’expérience de Seth, l’article de sa vie. D’abord méfiante et malicieuse à l’égard de ce scientifique/magicien fou, elle finit par tomber en admiration et en amour pour ce dernier.
Leurs coupes de cheveux reflètent une époque, leurs lèvres s’effleurent amoureusement puis elle désire le manger car c’est la chair qui rend fou. Le drame est latent, la fin sera tragique.
L’amour triomphe-t-il de tout, même des apparences ?
Le regard : multiplicité des sens
Dans Videodrome, Cronenberg explorait le regard à travers les écrans, dans La Mouche, le regard s’étend sur davantage de choses. D’abord le regard des personnages : le regard vif de Jeff Goldblum, qui comme je l’ai dit plus haut augure son avenir puis le regard tendre et admiratif de Geena Davis quand elle réalise que la téléportation is for real qui marque le commencement d’une idylle au destin tragique. Ces regards s’unissent quand ils s’embrassent, comme s’ils s’aimaient à ne plus se perdre de vue…
Ensuite, il y a le regard des autres. La Mouche est un film sur les apparences et le pouvoir de l’amour. Veronica est tombée amoureuse d’un homme dans sa profonde complexité, non d’un simple physique. C’est pourquoi quand il se transforme progressivement en mouche, elle continue de le voir, car pour elle, seule sa présence compte, malgré la dangerosité impliquée.
Le monstre en nous
Cronenberg exprime parfaitement la dualité à travers ses personnages. Brundlefly en est l’exemple le plus illustratif. D’un côté, il y a Seth Brundle - l’homme qui aime Veronica et que cette dernière aime - et de l’autre il y la mouche, cet insecte qui se rapproche plus du monstre que de l’animal. Une mouche, c’est le symbole du manque d’hygiène (d’ailleurs l’épisode 10 de la saison 3 de Breaking Bad a dû s’inspirer de ce film). Une mouche , c’est aussi un insecte virevoltant et en mouvement constant. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le scientifique travaille sur la téléportation.
Au départ, ce monstre semble nous purifier et nous apporter force et vivacité, en témoigne cette scène où les deux personnages principaux ont un rapport sexuel qui dure des heures (on n’est jamais loin des obsessions premières du maître canadien…). Cette purification apparente n’est qu’annonciatrice d’une vérité bien plus dramatique.
Veronica succombe aux charmes de Seth Brundle, mais résiste à la puissance horrifique de la Mouche. La plus belle scène du film, et une des plus belles scènes de l’histoire du cinéma (qui dans sa tonalité rappelle la scène finale de Blade Runner) reflète toute la complexité de cette histoire d’amour impossible.
- La vie politique chez les insectes, tu connais ?
- Non.
- Moi non plus. Les insectes n’ont pas de système politique. Ils sont brutaux. Sans compassion. Il n’y a pas de compromis. Impossible de faire confiance à un insecte. J’aimerais être le premier insecte politique. J’aimerais, mais j’ai peur.
- Je ne comprends pas ce que tu veux dire.
- Je dis que je suis un insecte qui a rêvé qu’il était un homme et que c’était bien. Mais maintenant le rêve est terminé et l’insecte est réveillé.
- Non, Seth…
- Je dis que je vais te faire du mal si tu restes…
Seth est encore lucide quant à sa condition. Il a de plus en plus l’apparence d’une mouche, le monstre gagne du terrain, mais il a toujours cette lucidité liée à l’amour. C’est tout un paradoxe : généralement, l’amour fait perdre toute lucidité, ici, c’est le contraire.
Le long-métrage de Cronenberg est reconnu aujourd’hui comme un classique de l’horreur et de la science-fiction. Mêlant romance, poésie, humour noir, horreur et science-fiction, il contribue à faire d’une histoire simple et universelle, une tragédie moderne et réussie.
Il préserve son identité artistique, marque le film de son empreinte avec notamment la signature Cronenberg de la tête qui explose, qui évoque directement une scène de Scanners.
La chair est traitée, l’esprit est tourmenté, l’amour est inachevé.