« It’s what the public want », proclame le déjanté Chop-Chop pendant le film.
(Et chers lecteurs si vous ne voulez pas vous faire spoiler vous n'êtes pas sur la bonne critique)
Et pourtant le public ne peut être que décontenancé par cette séquelle du mythique Massacre à la tronçonneuse, sorti en 1974 et qui n’a pas fini de terroriser les imprudents spectateurs qui voudraient découvrir ce classique. Alors que sa suite se risque sur des chemins bien moins lugubres.
Douze ans après, Tobe Hooper revient à la découpe mécanique, tandis que l’équipe réunie est talentueuse et prometteuse. Au scénario, L. M. Kit Carson, scénariste du remake américain d’A bout de souffle et de l’oscarisé Paris, Texas, qui veut « casser » sa réputation. Tom Savini, le « Monsieur Gore » des effets spéciaux et du maquillage des années 1980 promet de la barbaque et du sang bien rouge. La production rassemble une équipe de talents confirmés ou de nouveaux-venus, tous à l’œuvre sur un film aux conditions de tournage difficiles, mais porté par une bonne humeur, loin de l’ambiance anxiogène du tournage du premier.
Mais ce que voulait cette belle équipe en tournant cette séquelle, c’était proposer autre chose, de partir vers d’autres directions. Bien loin de l’esprit glauque du premier, qui voyait une équipe de jeunes aux prises avec une famille texane de dégénérés, les Sawyer. Dont Leatherface, grand costaud au masque en cuir de peaux humaines et à la tronçonneuse facile, est depuis devenue une icône du cinéma. Cet opus met en avant l’humour de sa proposition, avec des élans satiriques et bouffons, mais aussi en cherchant à mettre un peu plus de coeur, de façon bien pittoresque.
Malgré une survivante qui a pu témoigner de la folie dérangée de cette famille, celle-ci n’a jamais été retrouvée, et serait même considérée comme un mythe du Texas par des autorités qui ont toujours du mal à y croire. On se demande bien comment avec les restants d’une voiture attaqués par une tronçonneuse au début du film. Le Texas Ranger Lefty Enright (Dennis Hopper) est bien seul dans sa quête pour retrouver les coupables. Mais la jeune Strech (Caroline Williams), animatrice d’une radio locale, se met en relation avec lui, elle a enregistré le meurtre des victimes qui débutent le film. Pour lui, c’est la possibilité d’une vengeance qui l’obsède dangereusement, pour elle, sa chance de gravir les échelons. Mais la famille Sawyer n’est pas prête à se laisser marcher sur les pieds.
Dans cette « Part 2 », le cadre se déplace, quittant les contrées reculées et inhospitalières du Texas pour un décor urbain, parfois de foule. Le Texas des confins cède la place à un Texas passant, de la ville, dont le film dresse un portrait bouffon, avec ses commémorations de l’histoire, ses fêtes improbables, dont un concours du Chili, et des personnages un peu bruts, à l’accent prononcé. Avant de céder la place pour une deuxième partie dans l’antre des Sawyer, cachés sous un ancien bâtiment de parc d’attractions, à la décoration soigneusement revue. Les meubles de brocante sont rafistolés avec des os humains, des squelettes font office de lampes, tandis que des petites saynètes morbides témoignent de l’humour dérangé des occupants. La reconstitution est assez impressionnante, mais plus festive qu’angoissante, dans un décor de parc d’attractions à peine plus inquiétant.
Dans ce monde, les Sawyer sont les rois. Mais c’est aussi à peine s’ils se cachent dans le monde extérieur, à se demander comment fait la police locale pour ne pas les trouver. Avec Drayton (Jim Siedow, le seul du premier film à revenir dans la suite) comme patriarche braillard, obnubilé par son affaire de chili (à base de chair humaine bien sur), Chop Tob (Bill Moseley, le début d’une longue carrière dans l’horreur), agité vétéran du Vietnam, le grand-père sénile et bien sûr, Leatherface, ou Bubba. Les deux premiers gesticulent et crient, dans une hystérie un peu fatigante.
Leatherface est à lui aussi bien changé, et pas seulement parce que ce n’est plus le même acteur. Bill Johnson remplace Gunnar Hansen. Mais le côté grand enfant un peu débile du premier est ici exacerbé, avec une certaine sensibilité, des plans sur ses yeux enfantins et perdus, qui surprennent. Sa démarche simiesque, ses petits cris, sa maladresse même, dénotent même. Quand il brandit la tronçonneuse, c’est un petit chimpanzé qui s’agite. Le film poursuit cette humanisation en lui attribuant une relation trouble avec Stretch, un remake de la Belle et la Bête qui devait été poursuivi si l’idée n’avait pas été atténuée pendant le tournage.
Massacre à la tronçonneuse 2 n’a donc plus cette boule au ventre, cette angoisse. Les morts sont même très rares mais beaucoup d’entre-elles ont été coupées au montage. L’horreur des exécutions est elle plus brutale, plus frontale, très années 1980 finalement. Les deux premières victimes, deux yuppies terriblement agaçants, dont on attend le trépas avec impatience, peuvent en témoigner. D’autres scènes plus gores amusent par leur débauche, Tom Savini aux commandes ne déçoit pas. Mais la tension terrifiante, cette attente fiévreuse du prochain bruit de tronçonneuse, elle n’existe plus, remplacée par une farce horrifique.
Le contraste est évident, avec un premier volet sobre et tendu, et celui-ci, qui n’hésite pas à aller dans le grotesque ou la petite scène amusante. Il faut voir Leatherface avec une petite scie électrique pour couper la viande. Les saynètes macabres amusent. Certaines répliques peuvent faire sourire, à l’image de ce duel de « Good Night » entre l’animatrice et Chop Top. Mais il y a une hystérie qui peut user, d’autant que les comédiens font ce qu’on leur demande, c’est à dire le plus souvent trop. Si Caroline Williams est convaincante, plus sobre, sauf quand elle doit pousser dans les cris, évidemment, Dennis Hooper offre une présentation hallucinée, fiévreuse puis dingue, sans aucune mesure. Son personnage va aller jusqu’à un duel de tronçonneuses avec Leatherface, quelle drôle d’idée.
Tobe Hooper, malgré les faiblesses de son film, ne le traite pas comme une commande forcée, menée sans entrain. Il est un bon réalisateur, et le démontre encore une fois, assisté d’une équipe déterminée à offrir un bon film. Ses cadrages capturent les scènes, mettant en avant ses comédiens. La caméra est fluide, elle se promène dans les décors et entre les acteurs. Il y a dans le film certaines scènes très fortes, très graphiques, et c’est probablement de celles-ci dont on se souviendra le mieux, plutôt qu’une histoire sans grand intérêt. Certaines images en deviennent iconiques, très fortes, à l’image du passage avec le bac à glaçons où Leatherface promène sa tronçonneuse entre les cuisses de Stretch, une scène à la fois sensuelle et dérangeante, où d’une autre où il lui applique sur le visage la peau déchirée d’un de ses collègues. Et cette scène finale, juste avant le générique, où Stretch exulte, à moitié folle, brandissant la mythique arme, pendant que la caméra prend de plus en plus de distance.
Mais le film se montre même aussi trop lent, donnant trop d’importance à ses comédiens, les faisant parler, hurler, gesticuler, bien trop longtemps. Puisque les morts ne sont guère nombreux, qu’il y a très peu de rôles différents, le réalisateur occupe la bobine avec d’autres artifices. Il s’attarde sur les prémisses puis sur leurs supplices, ce qui ne fait rien d’autre que surligner la dangerosité des Sawyer, déjà bien comprise depuis bien longtemps. La mise en scène de certains passages a beau capturer l’attention, les décors réussis et la photographie travaillée ne font pas tout, Massacre à la tronçonneuse 2 tourne parfois à vide.
Produit par la Cannon, célèbre compagnie de films de série B des années 1980, la firme fut assez décontenancée par le ton du film, en plus d’avoir mis quelques bâtons dans les roues pendant la production,notamment en réduisant le budget. Le scénario était sans cesse amendé et modifié pendant le tournage, et cela se ressent, le film comble par moments. Mais Tobe Hooper et son équipe sont allés au bout de leur démarche, proposer une suite qui ne soit pas un décalque du premier. Et même si l’un et l’autre sont des films d’horreur, le grand écart est impressionnant. Il bouscule. D'autant plus en le visionnant de nos jours, à une époque où le moindre écart sur une franchise est craint, de peur de décevoir les fans, nouveaux gardiens de ce que doit être tel film, telle bande dessinée, tel artiste.