Je n'ai pas choisi le film le plus facile pour faire ma quatrième critique : non seulement c'est un chef d'œuvre absolu, mais en plus c'est mon film préféré - ainsi non seulement je ne suis pas objectif, mais en plus à part écrire "c'est trop bien c'est vraiment trop trop bien de tous les points de vue regardez le" je n'ai pas su tout de suite quoi mettre dans cette critique et comment l'organiser. Je vais toutefois tâcher d'être le plus objectif possible, pour le bien de cette critique (et de vos cerveaux, parce qu'avoir quelqu'un qui vous hurle de regarder son film préféré pendant plusieurs paragraphes n'est pas très agréable).
N'ayant pas lu le livre, je vais traiter le film tel qu'il est, sans comparaisons avec l'original.
Commençons d'abord par ce dont Kubrick est un maître incontesté : les plans, la mise en scène. Certains disent que le film a mal vieilli par la qualité de la caméra : les techniques utilisées sont archaïques, ce qui détériorerait le film... Je ne suis pas d'accord. Oui peut-être que les techniques utilisées pour filmer ont vieilli, mais il n'empêche que dans chaque plan, chaque détail a son importance, le moindre regard signifie quelque chose ; chaque particule est traitée avec une finesse, une exactitude, une perfection inégalée, et les scènes parfaitement chorégraphiées s'enchaînent à un rythme quasi frénétique tout en prenant le temps aux moments clés. Et ça, ça n'a pas vieilli.
Quand je pense à ce film, je pense en premier à la scène en slow motion (oui, je suis vraiment un amoureux du slow motion), mais faites le test : demandez à d'autres personnes la première scène qui leur vient à l'esprit en pensant à Orange mécanique, et chacun vous citera une scène différente. Pourquoi ? Car elles sont toutes iconiques et maîtrisées avec une perfection dont seul Kubrick avait la clé.
La deuxième chose qui me vient à l'esprit quand je pense à ce film est cette reprise de Singing in the rain. Reprendre un morceau aussi connu et synonyme de joie et d'amour pour en faire l'hymne d'un psychopathe violeur... c'est du génie.
Pour la petite anecdote : c'était une improvisation de la part de McDowell, et Kubrick l'a tellement aimée qu'il a acheté les droits pour la chanson. Il a bien fait.
Cette chanson dénaturée montre à quel point le monde dans lequel évolue Alex est absurde : rien n'a de sens, que ce soit la musique, la famille, les amis, et même les actes des personnages - car à la fin, malgré ce qu'on lui fait subir,
toute cette thérapie lobotomisante, ces abandons, ces violences,
Alex reste le même, comme si rien d'important ne s'était réellement passé.
Alex est quelqu'un de mauvais, certes, mais il n'y a pas que lui qui est mauvais et perdu : il y a tous les autres. Car cette société essaye de supprimer la violence par la violence, à l'aide d'une thérapie qui dénature les êtres humains en leur enlevant leur capacité de choisir, et en supprimant ou pervertissant les rares choses qu'Alex aime et qui ne sont ni perverses ni violentes (comme son serpent ou Beethoven) avec un plaisir non dissimulé ; au final, il ne reste à Alex que de l'ultra violence, car la violence n'engendre que la violence et ce film s'acharne à nous le faire comprendre.
L'ultra violence présente dans le film est le seul résultat que les personnages peuvent obtenir dans un environnement aussi violent et absurde.
Ce film réussit l'exploit d'arriver à nous faire accrocher aux personnages alors qu'ils sont tous globalement immoraux et évoluent dans un monde encore plus immoral et détestable. Personne n'a réellement raison ni tort, ils errent et essayent.
Le film n'est ni moralisateur ni admirateur de la violence, il la montre et c'est à nous de nous faire notre point de vue. Oui, c'est peut-être pour ça que j'ai autant aimé ce film : la liberté de pensée à laquelle il nous invite, et son discours sur la violence et la société (comment répondre à une société violente autrement que par la violence ?) qui transcendent le temps.