Qu'il est bon d'avoir tort de temps en temps.
Après un nouveau départ des plus douteux imposé par un "épisode VII" rien moins que controversé, l'une des plus grandes franchises de notre enfance semblait prendre un chemin dont la finalité n'était plus de faire rêver des millions de spectateurs mais bel et bien d'engranger du profit, ne serait-ce qu'avec cette idée on ne peut plus ploutocrate d'en sortir un film par an quitte à nous pondre des histoires inédites dont on se fout royalement, à commencer par ce fameux Rogue One.
Pour faire simple, ça raconte comment une bande de rebelles à usage unique se voit confier la mission qu'on imagine sans peine délicate de voler les plans de l'Etoile Noire — ceux-là même cachés par Carrie Fisher dans Kenny "Boîte de conserve" Baker au tout début de l'épisode IV — menée en cela par une gamine préférée par ses supérieurs à un million d'autres soldats certainement infiniment plus qualifiés qu'elle pour la seule et unique raison qu'elle se trouve être la fille de l'ingénieur ayant conçu ces plans.
Ensuite (je sais qu'il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs mais à la base, c'est tout de même censé donner envie aux gens d'aller voir le film), les premières infos et bandes-annonces ne nous motivaient pas plus que le pitch de départ :
1 - Le fantôme de la Trilogie Classique qu'on nous ressert à toutes les sauces pour rassurer les fans de la première heure en mal de nostalgie (or vous n'allez pas me faire croire que dans un univers aussi riche que Star Wars, on ne trouve aucune autre idée à exploiter que la grande boîte de conserve toute noire et cette satanée boule à facettes géante qu'on a déjà vus un bon milliard de fois)
2 - L'héroïne typiquement atteinte du syndrome Hunger Games (énième post-adolescente "rebelle" tirant la tronche en permanence pour feindre une absence évidente de personnalité)*
3 - La suppression de l'élément le plus traditionnel de la saga, sous prétexte "qu'il s'agit d'un spin-off", etc.
En bref, mathématiquement il y avait amplement de quoi s'attendre à une catastrophe sans précédent (ou presque).
Et en fait, à notre grande et agréable surprise, c'est quasiment tout le contraire qui se passe.
Quasi seulement car il y a bien de ci de là quelques trucs qui coincent. La musique, par exemple, est franchement dispensable, à commencer par le thème principal le plus minable qu'on ait jamais entendu, pompant grossièrement ses premières notes chez Williams et ne faisant montre d'aucune créativité ou grâce, sauf à la toute fin (Michael Giacchino se rattrape en effet de justesse dans les toutes dernières minutes dont on parlera par la suite, mais on regrettera tout de même le départ d'Alexandre Desplat vers la galaxie Besson — d'une qualité lointaine, très lointaine — tout en imaginant, rêveur, ce que le compositeur bien de chez nous aurait pu tirer d'un univers dont les premières partitions ne sont nées ni plus ni moins que sous la baguette du plus grand faiseur de musiques de films que la Terre ait jamais portée).
Et puis, même si l'on s'y attendait un peu,
Difficile de ne pas trouver ce Vader un peu brouillon et fake, entre la dégaine lourdaude de l'acteur à des kilomètres de la prestance de David Prowse et le rendu de l'armure qui rappelle celle d'un cosplayeur du dimanche ; c'est l'un des plus grands méchants de l'histoire du cinéma, bordel ! Certes, la voix de James Earl Jones fait toujours aussi bien le boulot (encore heureux), mais cela ne suffit qu'à moitié. L'utilisation de CGI pour rajeunir — et même ressusciter ! — certains personnages de la Trilogie Classique, elle, s'en tire à bien meilleur compte, même si l'on remarque la supercherie.
Du reste, on retrouve notre univers soigneusement et inespérément respecté par un Gareth Edwards très consciencieux (je l'en ai applaudi), on s'attache comme jamais à une bande de non-joyeux et sympathiques trompe-la-mort deux bonnes heures et demi durant, on frémit de plaisir à chaque clin d’œil direct aux grandes heures de la saga
(exceptés peut-être le badaud défiguré de la cantina et son comparse, un peu too much pour le coup)
On salue une histoire qui, s'il elle ne nous apprend pas grand-chose de neuf au sein de l'univers, a le mérite d'être prenante tout en n'oubliant pas de nous en mettre plein la vue (franchement tout le passage sur Scarif, c'est Battlefront comme si vous y étiez), et surtout, SURTOUT, on prend littéralement son pied dans les derniers instants.
On a beau avoir critiqué l'entrée scène de Vader plus haut, ce plan final sur la passerelle du Tantive IV a de quoi mettre les fans de tous horizons confondus d'accord, et je ne parle même pas de ce qui se passe avant !
Un mot sur le casting: Felicity Jones est moins crispante que dans les trailers où on la voyait psalmodier des répliques puériles et risibles telles que "This is a rebellion, I rebel !" ou encore le "May the Force be with us" le moins investi que j'aie pu entendre (ceci dit, niveau jeu d'actrice, il y a encore du chemin à faire) ; Diego Luna est une agréable découverte, Forest Whitaker est à peine présent et plutôt déconcertant — surtout niveau look — , Mendelsohn et Mikkelsen sont tous deux impeccables dans leurs uniformes impériaux et le formidable duo martial/comique formé par Donnie Yen et Jiang Wen casse la baraque. Sans oublier Alan Tudyk, une fois encore à son aise dans la carlingue d'un tas de ferraille cynique et désabusé.
Même s'il mise 70% de ses chances sur son fan-service et la nostalgie des amateurs les plus aguerris, Rogue One détrône à plate couture Le Réveil de la Force (pas mal pour un film dont les ambitions se limitent à un simple spin-off) et, par la même, offre un moment de répit inespéré qui, entre deux épisodes d'une nouvelle trilogie dont on a tout lieu de se méfier, fait un bien fou.
Certains dont je n'était pas loin de faire partie pensaient dur comme fer que Disney nous avait ôté tout espoir.
Je crois qu'il viennent au contraire de nous en donner un nouveau.
*[On parle par ailleurs d'engager des réalisateurs femmes pour diriger les prochains films de la franchise soi-disant "pour apporter une touche plus féminine" à celle-ci, mais c'est encore un autre débat]