Scanners est un retour aux origines de la filmographie du maître canadien. Alors qu’il avait enchaîné trois œuvres très visuelles et charnelles (Frissons, Rage et The Brood), Scanners est en quelque sorte l’aboutissement de son premier long-métrage expérimental, Stereo. Tout comme dans sa première œuvre, il est question de télépathie, présentée ici sous un nouveau jour. Dans Scanners, la télépathie n’est pas vulgarisée, elle est simplement un moyen, un point de départ pour Cronenberg d’exposer son histoire. Dès lors, on réalise que le film sera davantage centré sur l’esprit, sans pour autant oublier le corps.


L’intelligence du scénario n’a d’égale que la puissance envoûtante de la composition musicale d’Howard Shore (la trilogie du Seigneur des Anneaux). Ce film marque la deuxième collaboration (après The Brood) entre le compositeur et le cinéaste, collaboration qui va s’inscrire dans le temps au plus grand plaisir du Cinéma.
Toutes les composantes qui font d’un film, un film réussi sont réunies : un scénario original et astucieux, une mise en scène favorisant l’immersion totale dans le métrage, des notes musicales omniprésentes qui ne font que renforcer le caractère angoissant et sinistre du film et enfin un jeu d’acteurs irréprochable.
Petite parenthèse pour évoquer les acteurs et à quel point les compositions sont d’une grande réussite. Michael Ironside - fils spirituel de Jean-Pierre Bacri et Jack Nicholson - est un méchant remarquable au charisme certain (dois-je citer la déclaration d’Alfred Hitchcock à propos de la figure du méchant ?). Stephen Lack manque certes de charisme mais son regard déshumanisé et programmé sonne parfaitement juste. Enfin, les silences de Jennifer O’Neill crient sa beauté magnétique.



Cronenberg au féminin



Jusqu’à Scanners et sans compter ses essais expérimentaux, Cronenberg donnait le mauvais rôle aux femmes, du moins à la Femme. La figure féminine est l’élément perturbateur, le bourgeon de la contamination, la source de tous les maux de la société. Dans Frissons comme dans Rage, la fille était le « patient zéro », par la suite avec The Brood, la colère de la femme (incarnée par des bambins mécontents) terrorise toute une petite ville.
Seulement, la femme n’est pas par essence le vecteur problématique mais plutôt l’objet de la décadence et de la folie scientifique des hommes.
À travers la figure de la femme, Cronenberg se réinvente : la femme n’est plus une bombe à retardement. En fait, on observe un changement radical, la femme semant le trouble avait un rôle actif, dans Scanners elle brille par sa passivité. Cette passivité se révèle dans la scène finale de confrontation entre les « deux frères » où - pendant qu’ils s’entretuent dans un duel spirituel - Kim Obrist (le personnage féminin) est endormie. Elle ne se réveille qu’à la fin du choc puis constate les dégâts.
Ainsi dans Scanners, le personnage féminin cronenbergien perd en épaisseur mais gagne en sympathie.


Scanners, c’est la victoire de l’esprit sur le corps. La fameuse scène de l’explosion est représentative. L’esprit contrôle le corps à un point tel qu’il finit par le faire exploser. Mais que dire du duel final ? Deux esprits qui s’affrontent pour se retrouver finalement dans un seul et même corps. Cette scène frise le grotesque mais pourtant témoigne d’une grande maîtrise derrière la caméra, pour rendre crédible et frissonnant l’ensemble.
Certes, le film est plus pudique dans sa représentation de la chair, mais cette obsession reste bel et bien présente, au début comme à la fin du long-métrage.


Scanners, c’est une métaphore qui vulgarise (dans le sens positif du terme) la schizophrénie. Le grand mérite de Cronenberg est de s'inspirer et non de démontrer. À aucun moment, il parle de la schizophrénie (on devrait d’ailleurs parler DES schizophrénies), mais il la suggère sans arrêt : les voix maléfiques qui tourmentent les Scanners, le Docteur Ruth en psychiatre et enfin les deux personnages principaux (Darryl Revok et Cameron Vale) qui sont les deux faces d’une même pièce.
Quelque part, Cronenberg réinvente la schizophrénie sans pour autant la dénaturer.


Enfin, on peut relever une nouveauté dans la filmographie de Cronenberg qui apparaît dans Scanners : la question religieuse. Pour commencer, le pouvoir de la pensée n’est pas sans rappeler l’approche spirituelle de la religion. Quand on a la foi, on a le pouvoir de croire en quelque chose de supérieur. Quelque chose qui se passe en nous, et qui est irrationnel prévaut sur le pragmatisme. Ici, l'esprit parvient à dominer le corps. Et puis, lorsque les Scanners prennent le contrôle de ceux qui leur veulent du mal, ils finissent par mettre feu à ces derniers qui meurent dans une position christique. Les « méchants » prennent donc la position du christ sur la croix, tout en brûlant dans les flammes sataniques. Mais peut-être s’agit-il de surinterprétation.


Ainsi, le 7e long-métrage du « père de la nouvelle chair » est celui de la réinvention. Il réinvente l’humain en humanisant les humains-ordinateurs (aka les Scanners) tout en déshumanisant les humains-chercheurs (aka les scientifiques). Il réinvente également le langage, car les pensées sont une nouvelle forme d’expression.
Il s’amuse des situations et joue avec nos attentes : l’homme chargé de la sécurité interne de Consec (Braedon Keller) incarne en réalité le danger au sein de cette société et le rôle féminin est passif, avec une femme qui subit les événements (alors qu'elle avait pour coutume de les provoquer).

Avec ce film, Cronenberg lance idéalement ses années 80.


(PS : Scanners fait partie des rares films de Cronenberg où n'apparaît pas à l'écran le corps nu d'une femme.)

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le 20 juin 2020

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sachamnry

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