Tunnel me donne l'impression qu'il faut, pour l'apprécier, ne pas avoir vu, avant, l'excellent Gouffre aux chimères de Billy Wilder, sorte de référence ultime de la critique du voyeurisme des journalistes (que Nightcall aura repris dans un registre différent, mais pratiquement tout aussi réussi). C'est qu'il le reprend tellement en deuxième partie qu'on ne peut y voir qu'un remake d'un classique américain, un peu comme le faisait, d'une autre manière, le Dernier train pour Busan de Yeon Sang-Oh, l'année précédente.
On a l'impression, quand arrive sa deuxième heure, que réalisateur et scénaristes ne sont plus les mêmes, qu'une équipe plus talentueuse, plus juste et imaginative s'est pointée pour les remplacer. C'est surtout que la première heure, tout aussi bien développée soit-elle, cède trop facilement la place au mélodrame, au surjeu (le personnage de la fille coincée semble ne servir qu'à rajouter artificiellement de l'émotion et du temps supplémentaire à sa durée), au sensationnalisme pour parvenir à approcher de la finesse de sa deuxième heure, cynique et cruelle.
Certes divertissante, sa première partie se gâche de trop de longueurs en nous proposant une interprétation quelques fois à la limite du surjeu, ses personnages pourtant bien écrits agissant de manière bien idiote (l'égoïsme du héros semble venir trop tard pour épouser la vision réaliste de l'oeuvre, au moment de faire tout ce que les secouristes l'avaient interdit de faire pour ne pas mourir d'infection, de soif ou de faim).
C'est pourtant dans cette première partie qu'intervient l'élément le plus surprenant de ce Tunnel, pratiquement désarçonnant : l'humour, la tragi-comédie, amenée au moment de la découverte du chien (l'humour tournant surtout autour de lui), pour ne plus lâcher le déroulé narratif jusqu'à cette conclusion qu'on évoquera plus tard. Cette légèreté des situations est à ce point bien gérée qu'elle n'entrave pas la puissance émotionnelle du reste, ajoutant même de la tension aux moments propices, puisqu'elle enfonce le fossé, par ses phases d'insouciance, entre les passages de repos et de danger de mort.
Un humour qu'on retrouve à l'extérieur du tunnel, au travers de sauveteurs entravés par des patrons et des architectes incompétents, ou même de ces journalistes en quête de scoops prêts à faire baisser la batterie de téléphone de notre protagoniste pour avoir quelques mots à balancer en direct à l'antenne. Une critique réactualisée qu'on trouvait déjà dans Le Gouffre aux chimères, évoqué précédemment, et qui tombe dans l'excès pour inventer de nouvelles pistes de caricatures, évoquant avec maladresse et manichéisme les médias rapaces quand Wylder le faisait avec finesse, justesse, humanisme.
Tous des connards, qu'il pourrait balancer dans un dialogue sans que cela ne jure avec la lourdeur de l'analyse de Kim Sung-Hoon, qui tourne en ridicule pour critiquer, restant dans ce même ton tragi-comique. Pas désagréable non plus, il partit surtout de ce que les américains auront pu faire de l'idée, Nightcall apportant, par exemple, de nouvelles pistes intéressantes où Tunnel recyclait celles d'Ace in the Hole en les réactualisant par les moyens de communications modernes, les stéréotypes collés à la profession et la manipulation de politiques clairement tournée en farce macabre.
Là encore, le film ne développe pas suffisamment la partie satyre de l'Etat pour apporter une réflexion intéressante; il se contentera de montrer la présidente comme un objet de trahison ou de blagues, larguant des idées engagées qu'il semble mal assumer, ou n'avoir pas le temps de mieux aborder. C'est qu'il se concentre surtout sur la partie survie de notre protagoniste, interprété par un Ha Jung Woo surprenant, le reste ne servant que de toile de fond.
En soi, ce travail d'arrière plan est très réussi, mais trop mis en avant pour le considérer seulement comme de la figuration qui apporte; l'intrigue se basant sur la critique sociale, il paraît bien audacieux de se lancer dans des thèmes si difficiles à aborder en à peine plus de deux heures. Tunnel étant très dense à ce sujet, il ne parvient pas, et c'est tout naturel, à pleinement développer son potentiel de critique sociale passionnante, préférant visiblement faire passer ses idées réacs par un ton plus léger, entre le burlesque et la parodie.
Du reste, on se souviendra de cette deuxième heure comme une course à la montre haletante, annonciatrice d'une conclusion immensément couillue que le film n'osera pas suivre, à la grande différence de l'intelligence finale d'un Gouffre aux chimères tragique. Tunnel préfère bien se finir pour son spectateur que tendre vers la fin que nécessitait l(évolution de son intrigue, notamment amenée par un échange unilatéral bouleversant d'une Bae Doo-Na en larmes face à son micro, qui pense plus parler à un poste de radio qu'à son mari vivant sous les décombres.
Cette scène, d'une dimension dramatique parfaitement maîtrisée, fait écho aux scènes de survie de notre protagoniste, où Kim Sung-Hoon peut démontrer toute sa maîtrise des espaces réduits, de la photographie de lieux sombres, étouffants, bardés de poussière et d'humidité. S'il est visuellement virtuose, Tunnel se limite à l'expérience purement sensorielle, éprouvante, éreintante, alors qu'il aurait pu, en durant peut-être plus longtemps ou en sélectionnant mieux ses personnages (notamment celui d'Oh Dal-Su, principalement utile à l'humour), virer vers la critique sociale juste et virulente.
On n'a finalement qu'une esquisse travaillée d'un film possiblement passionnant pour ses idées sociales et sa critique du pouvoir, une oeuvre presque uniquement visuelle.