Le cinéma coréen ne finit pas de nous étonner. Il revient à la source de nombreux genres (thriller, catastrophe, action, etc.) pour humaniser de nouveau des scripts qui se perdent dans des intrigues tentaculaires et grandiloquentes outre-Atlantique. En lieu et place du spectaculaire, M. Seong-hoon place de l’intime. Il a compris qu’au final, l’important dans l’expérience du spectateur, notamment en cas de scénario catastrophe, c’est l’identification.
L’intrigue se veut simple : un homme est accidentellement enseveli sous un tunnel. Alors qu’une tentative de sauvetage d’envergure nationale se met en place, suivie et commentée par les médias, les politiques et les citoyens, l’homme joue sa vie avec le peu de moyens à sa disposition.
Les deux tiers du métrage se passe donc en compagnie Ha Jung-Woo, et le spectateur vivra pendant plus de 2h en promiscuité avec lui. L’immersion fonctionne agréablement bien et tient beaucoup au choix scénaristique de laisser de la place à l’être humain plutôt qu’au héros. Pas d’élan de bravoure ou de techniques de survie façon MacGyver, juste un être humain, 1L d’eau, 1 gâteau et des dizaines de jours seuls.
La solitude, ce compagnon que chacun refoule avec plus ou moins de force s’impose de toute part. À l’intérieur du tunnel bien entendu où le personnage n’a qu’un smartphone et quelques morceaux de classique comme lien vers le monde, mais aussi à l’extérieur, que ce soit une femme en quête d’espoir, une fille accablée par ses camarades ou un sauveteur qui lutte contre l’irrationalité d’un monde qui l’assaille.
L’espace que s’offre M. Seong-hoon est double et s’ancre dans une dualité entre l’être et le parasite. En parallèle du suivi de la survie de notre homme, le propos du réalisateur s’érige en critique sociale. Il pointe du doigt l’absurdité des médias actuels et l’hypocrisie politique. Chacun d’eux est un parasite qui ôterait la vie de son hôte pour peu que cela serve ses intérêts. Sans jamais y mettre de mot (sauf dans un dernier élan d’humour, film estival oblige), le dernier né de M. Seong-hoon se contente d’exposer. Ainsi nombre de plans extérieurs sont noyés sous les flashs et cette notion atteint son paroxysme lors du plan final, véritable bain de foule absurde.
Tunnel se permet également de poser un couple de questions morales : Jusqu’où doit-on aller pour sauver une vie humaine ? Que faire quand l’opération de sauvetage coûte plus en vie humaine qu’elle ne peut en sauver ? Quelle est la valeur morale, éthique (et financière) d’un être humain ? À qui appartient la responsabilité d’un évènement dramatique dû à une malfaçon quand celle-ci découle directement d’une politique économique ultralibérale ?
Bien entendu, tout ceci ne trouve pas toujours de réponse subtile (n’oublions pas, malgré la distribution française, que nous avons à faire à un « petit » blockbuster coréen). Cependant M. Seong-hoon a le mérite d’essayer de concilier grand-spectacle et drame familial avec un savoir-faire non négligeable (et un budget conséquent) et nous présente sans conteste l’un des meilleurs films catastrophe de ces dernières années. Dans ce genre qui s’essouffle souvent dans le néant de ses scénarios, M. Seong-hoon fait office d’exemple à suivre.
Ne te détourne pas, par lâcheté, du désespoir. Traverse-le. C'est par-delà qu'il sied de retrouver motif d'espérance. Va droit. Passe outre. De l'autre côté du tunnel, tu retrouveras la lumière. André Gide