"The Chase" commence comme tout film d'évasion, deux hommes courent sur les routes et forêts du sud Etas-Unien. L'un semble plus à même de constituer notre centre d'empathie, et c'est donc le dénommé Bobby qui s'annonce comme notre nœud névralgique à action, complication, émotion et…il n'en sera rien.
Nous voilà propulsés dans une petite ville d'apparence tranquille, qui va très vite révéler les gimmicks d'une triste époque. Le récit, loin des poncifs qu'un tel synopsis pourrait nous faire entrevoir, prend son temps et pose les bases de personnages ambivalents (que ce soit la droiture mêlée de dégoût du Shérif incarné par Marlon Brando, la gentillesse et la lassitude de Bobby (jeune Robert Redford innocent des crimes qui lui sont reprochés) ou la façade soumise d'une Jane Fonda solaire).
On se glisse dans leur communauté, on apprend à reconnaître leurs habitudes, ce qui caractérise l'essence même de leurs valeurs et la nausée nous envahit peu à peu. Tout n'est qu'apparence, argent (en la personne du dénommé Val Rogers centre des jalousies mondaines) et défiance.
Les festivités sont une excuse à la beuverie, et cette dernière finit d'inhiber le reste d'humanité de nos texans. Ils errent dans la ville, prêts à tous les excès, accostent la moindre personne de couleur qu'ils croisent et se laisse aller à leurs élans meurtriers.
On se sent prit au piège par cette petite ville. Plus le soleil se raréfie, plus l'aube s'avance, et plus l'horreur pointe son nez. Puisque d'horreur il sera bien question, dans une descente aux enfers de l'ignorance et de l'obscurantisme. La chute du Shérif, chaque coups portés à lui, ricochent sur le spectateur impuissant. Sa « sortie », sinistre, où la ville entière siège, où le voyeurisme attentiste atteint son paroxysme signera la déchéance même d'un Américanisme pédant.
Il y a du génie dans la manière dont Arthur Penn peint son tragique tableau. La séquence en caméra subjectif où Marlon Brando sort défiguré par le traitement que l'on vient de lui infliger est sublime. Les corps se décomposent, la pensée se difforme et souligne l'absurdité de la comédie qui se joue sous nous yeux. L'Amérique regarde sa figure de droiture et reste immobile devant sa mauvaise conscience.
Penn ne ménage pas sa métaphore d'un idéal qui s'effrite, et le fait avec subtilité. La famille est disloquée et dans l'impossibilité de se repentir de sa lâcheté face à la pression sociale. Les clivages raciaux sous le glaive de leur arbitralité sont exacerbés. Toutes les générations y passent, des adultes aux adulescents et chacun participera à la séquence finale où s'embrase la colère d'un peuple dépassé par sa propre folie. L'étau se resserre peu à peu, sur nos héros et sur nous, spectateurs. Nos yeux s'écarquillent devant un tel spectacle et quand le calme revient, meurtris par la cruauté humaine, le réalisateur nous frappe du coup fatal, inaltérable et inévitable.
L'amertume clôt la chasse, et la sentence tombe, il n'y aura aucun gagnant. Seul un goût aigre reste au milieu de la place et devant les demeures trop grandes désormais.
Jane fonda marche vers nous, monochromatique, résolue et déchue elle aussi du rêve Américain embourbé dans ses propres travers.
"Lem : Taxes on this town pay your salary, Calder, to protect the place
Sheriff Calder : Well, if anything happens to you, Lem, we’ll give you a refund"