Si dans les années 60, John Frankenheimer posait les bases de ce que serait le cinéma paranoïaque à venir dans les 70s, l’on peut considérer Alan J. Pakula comme l’autre grand artisan de ce genre et en apportera ce qui en constitue peut-être le sommet absolu en 1974 avec "The Parallax View" (À cause d'un assassinat).


Pakula, c’est un ancien producteur, passé à son tour à la réalisation. Il a comme fait d’armes, notamment, d’avoir produit certains films de Robert Muligan comme « Du Silence et des Ombres (1962) ». En tant que réalisateur, il est principalement connu pour ce qui nous intéresse aujourd’hui, à savoir la trilogie thématique de la conspiration. Celle-ci est constituée de « Klute (1971) » ; « The Parallax View (1974) » et « Les Hommes du Président 1976) ».


Si le dernier film cité s’avère être son œuvre la plus célèbre, Parallax, qui lui est antérieur, en constitue le versant pessimiste. Dans le film de 1976, l'enquête des deux journalistes permettra de faire tomber le président des États-Unis, tandis que le constat de The Parallax View en 74 s'avérait bien plus sombre, car non content de ne pas en comprendre beaucoup plus à la fin qu'au début, notre journaliste finissait du mauvais côté de la barrière et son enquête n'avait alors absolument rien changée. Pakula disait par ailleurs qu'il regardait les hommes du président lorsqu'il était d'humeur optimiste et qu'à l'inverse il regardait Parallax View lorsque le pessimisme l'envahissait, et il est très intéressant de voir à quel point l'un est l'antithèse de l'autre.


Pour résumer le film, un sénateur progressiste américain se fait assassiner lors d'une réception en forme de meeting politique à Seattle (évoquant évidemment les assassinats successifs de JFK et Bobby Kennedy). L'auteur du meurtre est abattu dans la foulée, et la commission d'enquête conclue à un tueur isolé (qui évoque elle, la commission Warren et la théorie de la balle magique). Mais 3 ans plus tard, plusieurs personnes présentes sur les lieux meurent tour à tour. C'est alors que le journaliste Joe Frady va commencer son enquête après que son amie Lee soit morte alors qu’elle avait essayé de le prévenir du danger qui la guettait. Son enquête va alors le conduire jusqu’à une organisation nommée Parallax Corporation, qui cherche à dénicher des hommes aux profils violents et inadaptés afin d’offrir leurs services à des tiers.


Pakula nous démontre alors que dans notre société moderne, la croyance en un modèle pyramidal du pouvoir n'a plus aucun sens et qu'il ne suffit pas d'en faire tomber le sommet pour que l'ensemble s'écroule. Bien au contraire, ici la Parallax est une organisation fonctionnant en réseau et n'est pas personnifiée par une tête pensante. Elle n'a pas de but autre que le profit, pas d'idéologie à défendre et n'offre ses services qu'aux plus offrants, pour elle, l’humain n’est qu’une donnée parmi tant d’autres.


À travers sa trilogie, Pakula a réussi à mettre en images ce sentiment de la paranoïa et notamment grâce à son utilisation du clair-obscur. Il est stupéfiant de voir à quel point, au fil de son avancée dans l’histoire, à partir du moment où Joe réussi le test d’entrée à la Parallax, le personnage disparaît progressivement du film, comme absorbé par l’organisation dont il n’est plus qu’un pion malgré lui, pour culminer dans cette séquence de fin où il se retrouve totalement effacé par la quasi-obscurité du cadre, à tel point que nous ne savons plus quoi regarder dans l'image et ou fixer notre regard. Il est d’ailleurs aujourd’hui inconcevable de livrer un film avec une telle photographie, il n’y a qu’à voir les réactions provoquées par l’épisode 3 de la 8ème saison de Game of Thrones pour s’en convaincre. Et c'est à travers cette disparition de Joe de la lumière de l’image que va se poser l'une des questions les plus terrifiante du film.


Nous savons donc qu'il a réussi à obtenir les réponses optimales au questionnaire, mais ce qui ne nous est expliqué à aucun moment, c'est le comment de la réussite du test au siège de la Parallax. Celui-ci prend la forme d'un genre de diaporama nous exposant à des associations d'images par thématiques. Nous aurons donc le père, la mère, la famille, la patrie etc. La première partie nous les exposera de manière positive, la deuxième de manière négative et la troisième sera un mélange de tout cela à la fois, brouillant ainsi notre perception de ce qui est montré à l'écran. Toute la question est alors de savoir s’il a géré ses émotions afin de tromper le test à la manière d'un détecteur de mensonges ou bien si sa réussite est due au fait que ses réactions correspondent au comportement de tueur en puissance recherché par la Parallax. De l'absence de réponse claire à cette interrogation se trouve toute l'ambivalence du film et la vérité se situe sûrement entre les deux. Au final, peu importe la réponse, car à partir du moment où nous nous posons la question, c'est toute notre perception du personnage qui s’en trouve modifiée.


Le film nous dévoile alors son véritable sujet de fond, qui est de nous montrer la manière avec laquelle un individu se croyant actif dans sa quête du complot se retrouve totalement piégé par celui-ci, pour devenir en fin de compte un rouage de la machine.


L’assassinat de JFK, parmi les évènements les plus marquants de l'histoire moderne des États-Unis, avec le Vietnam et les attentats du 11 septembre, aura inspiré quantités de films et donné le ton d'une certaine époque de la vie américaine, dans un climat de défiance vis-à-vis des thèses officielles, à tel point que cette histoire du complot est devenue structurante de la culture du pays.


Christophe-Parking
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le 6 mai 2022

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