Pascal Thomas, c'est un gars qu'on aime bien. Pas un cinéaste « majeur », hein : preuve en est que la page Wikipédia anglophone fait trois lignes alors que lui, fait des films depuis quarante ans, et souvent avec des pointures du cinéma français. Par ailleurs, le réalisateur septuagénaire est loin de réussir à tous les coups, preuves en sont des gros plantages comme Le Grand appartement et Ensemble, nous allons vivre une très, très grande histoire d’amour (en parlant de titre…). Mais on lui doit aussi assez d’attachants souvenirs de cinéma pour ne pas décliner, lorsque des amis proposent d’aller voir son tout dernier film en salle (tant que Julien Doré ne joue pas dedans) : citons Les Maris, les femmes, les amants, La Dilettante, et surtout le délicieux Mercredi, folle journée !, avant de passer au sujet de cette critique.
À cause des filles… ? n’est PAS un Pascal Thomas majeur, même pour les amateurs de son cinéma. Un film pas vraiment majeur d’un cinéaste pas vraiment majeur : d’aucuns trouveront que ça commence à faire beaucoup. Mais un film peut être mineur. Son choix ne se limite pas aux extrêmes, soit Docteur Jivago, soit Mission : Impossible. Il n’a même pas besoin de parler de sujets graves, en fait, à moins bien sûr de vouloir être nominé aux Césars. Il a juste intérêt à être inspiré. Les films de Pascal Thomas évoquent parfois une variante française et moins maniaque du cinéma de Woody Allen, et si Thomas n’a pas le génie des meilleurs Allen, il sait en revanche se montrer aussi charmant que la moyenne actuelle du Juif new-yorkais. Pour ce que ça veut dire.
Ce vingt-troisième long-métrage du discret réalisateur est un petit film chorale dans l'ensemble fort charmant. Les spectateurs les plus critiques se retrouveront face à un dilemme, alors que défilera son générique de fin : y voir un film charmant, MAIS tout à fait oubliable... ou bien un film oubliable, MAIS également charmant. Nous décidons, nous, de voir le verre à moitié plein, car À cause des filles...? est plein d'une amusante frivolité et d'une (très) douce amertume qui excusent ses carences d'écriture sur lesquelles nous reviendrons. Gens qui avez vu le film, vous rappelez-vous la chanson-titre qu'on entend à la fin, et la demoiselle qui l'entonne ? Voilà ce qu'on doit garder en mémoire. Ce... charme.
Comme le charme de son casting féminin en général, objet d'affection et de passion d'un cinéaste qui profite du crépuscule de sa vie pour de nouveau témoigner cette affection avec une nonchalance assez amusante, et faire son Fellini du dimanche en bon amateur de « femmes nues » (bien qu’il n’en montre pas assez dans son film). À la base, ça n’était pourtant pas gagné : contrairement à Allen, Thomas n’est pas obsédé par les frêles jeunes femmes, et l’on peut même dire que son manque de goût saute ici aux yeux quand apparaît la toujours aussi affreuse Rossy de Palma dans un rôle de… fantasme féminin (dafuq ?). Mais c’est fort heureusement le seul raté de sa mosaïque de figures de désir bien conservées (avec tout ce que l’expression a de laid) : on pense à la trop rare Barbara Schulz, que le théâtre nous a volée trop tôt, à la toujours canonissime Marie Josée-Croze, à la (très) rousse Audrey Fleurot, et même, tapant cette fois-ci dans la cinquantaine, à Irène Jacob, dont l'éclat de jeunesse subsiste sous les traits pourtant très visibles de l'âge. Le quota 20-35 est même assuré en la personne de Victoria Olloqui, actrice encore méconnue et surtout vision absolue que nous oserons même qualifier de Jennifer Connelly française (ah, cette scène finale en haut du phare !). Oui, ça fait un gros segment de critique dédié à la beauté féminine, mais ce n’est pas entièrement gratuit : ne brillant ni par les performances de ses acteurs (parce qu’il ne leur donne rien de difficile à jouer, ce qui n’est pas forcément un problème, hein…), ni par la qualité de sa plume (les dialogues oscillent eux aussi entre le ringard et le plus inspiré, comme celui sur Venise, « ville faite pour les désespoirs civilisés », ou encore l’amusant « Depuis Un homme et une femme, il y a toujours un chien, dans les histoires d’amour »), ni par ses arguments de mise en scène (mis à part quelques beaux plans, comme celui du reflet de la mariée sur la plaque du phare, c’est assez télévisuel), À cause des filles… ? a surtout son charme pour lui.
Après, en voyant le verre à moitié vide, on peut même trouver désolant qu’une si jolie ribambelle d’actrices ait servi un film si mineur (ET d'acteurs, en fait, mention à José Garcia et Louis-Do de Lencquesaing !). Mineur parce qu’inégal, d’une inégalité prévisible, puisque propre au genre du film à sketches, le présent en fût-il un faux (ce ne sont pas des sketches, mais des saynètes remémorées par les protagonistes du banquet de mariage). D’un côté, on se réjouit de segments comme celui, exquis, où Marie Josée-Croze joue une prof « moderne » des années soixante-dix qui n’assume pas autant qu’elle aimerait son auto-sexualisation aguicheuse, celui où le personnage joué par Schulz se formalise pour les erreurs de retranscriptions de vers de Baudelaire tatoués sur le corps d’un potentiel amant, encore celui d’introduction où le très drôle Garcia se retrouve trois fois cocu ; autant on s’ennuie un peu beaucoup quand François Morel essaie de jouer au peintre pour déshabiller le modèle de ses rêves, quand le politicien volage joué par Laurent Lucas fait tourner en bourrique la quinqua désillusionnée jouée avec panache par Irène Jacob, et s’interroge carrément quand Bernard Menez apparaît travesti en vieille bigote, passages caractérisés tantôt par un ridicule qui rappelle un peu celui d’un mauvais Allen comme To Rome with Love, tantôt par un flagrant manque d’inspiration. À cause des filles… ? a un petit côté « récréation entre amis », parfois un peu trop vite torché parce que son réalisateur voulait surtout raconter ses historiettes sans se prendre la tête à faire tenir ça dans une intrigue digne de ce nom, quand il ne voulait pas simplement s’amuser avec ses acteurs sans se prendre la tête tout court. Les personnages n’ont pas toujours un comportement très logique, comme celui du politicien. Le segment avec Audrey Fleurot est un véritable gaspillage de rousse, qui voit une scène de séduction interrompue par l’alcoolisation accidentelle d’un chien, l’irruption d’une bande de voleuses masquées, et l’apparition de Christian Morin : quand c’est poussif et ringard, à l'image de cette saynète ou à celle du travestissement de Bernard Menez, ça ne l’est pas qu’un peu.
Il y a donc à boire et à manger, dans ce film, et l’on revient à la case départ : se satisfaire de ce qu’il a à offrir, ou se désoler de l'à-peu-près. Quand elle n'est pas poussive ni à côté de la plaque, la petite musique de Thomas est d'une belle vivacité, d'esprit et de corps, fraiche comme la brise océanique, et pétulante comme la gamine du charmant flashback sur la plage que conte un Pierre Richard coiffé comme un SDF. On se rappelle que c’est pour cela qu’on aime bien Pascal Thomas. Côté substance, ça patine dans la semoule, puisque ça ne dit absolument rien de neuf sur le sentiment amoureux, dérivant parfois dans un dénigrement de la gent masculine un peu facile (« la première mission des hommes dans la vie n’est pas de séduire les femmes, mais de continuer à échouer »… euh, ah ?). Mais on s’en fout : si l’on apprécie ce que propose À cause des filles... ?, c’est au contraire parce qu’il est frivole, frivole et fringant, comme l’apparition aussi courte que désopilante de Frédéric Beigbedder. D’une frivolité qui en fait un film bobo sans être antipathique, contrairement au dernier Assayas, par exemple (ou à n’importe quel Depleschin...). Parce que oui, c'est bobo : ça parle de la transparence (des réseaux sociaux) comme « maladie de notre époque », ça ne badine pas sur Baudelaire, ça s'inquiète de l'état de l'« art contemporien », ça mentionne Orphée, ça sort des trucs comme « Mais c’est pour la vérité hellénique !! », ça chante Les Passantes de Brassens, etc. Mais... ça ne se prend jamais au sérieux. C'est une des clefs. Partant de là, oui, À cause des filles… ? est mineur, oui, il est bancal, mais il tient miraculeusement la route, et peut être apprécié tel quel par les amateurs de virées printanières un peu bavardes. Comme un Martini blanc presque réussi, ou une comédie de boulevard dont l’expérience bonhomme nous fait pardonner ses faiblesses. Allez, on prend !
Note : remarquez l’étrange ponctuation du titre sur l’affiche, reprise par Allociné sur la page du film : depuis quand trois points de suspension peuvent se transformer en deux points directement suivis d’un point d’interrogation ? Pensez aux jeunes qui vous lisent, les gars. Bon, en même temps, c’est un film de vieux.