S'il y a bien un mot que j'emploierai pour qualifier Rian Johnson, ce serait malin. Quand il s'attaque à un genre très codifié (film noir, S.F), le cinéaste/scénariste l'envisage comme un jeu dont il se réapproprie les règles. Le dernier exemple en date - Star Wars épisode 8 - est sûrement le représentant le plus controversé de sa carrière. Johnson avait un boulevard devant lui, et il a préféré prendre les chemins de traverse pour en raconter long sur la génération geek et la nostalgie tous azimuts dans lequel s'endigue le blockbuster moderne. Le film continue de déchaîner les passions, ce qui semble attester du caractère personnel de l'œuvre chez son réalisateur.
À couteaux tirés vient confirmer cette tendance à la facétie chez Rian Johnson. Nouvelle catégorie en ligne de mire : un cluedo tout ce qu'il y a de plus basique (une réunion de famille, un meurtre et un inspecteur). Une catégorie dont on connaît si bien les coutures qu'on s'y sent tout de suite à l'aise. Comptez-donc sur le script (brillant) pour en détricoter les mécanismes. Et l'opération coup de jeune commence vite. Rian Johnson déploie des trésors d'imagination pour retourner la structure d'un jeu qu'on pensait connaître par cœur.
Le film est à l'image de son auteur : malin (une fois de plus). Jamais au dépens du spectateur ou de son propre bien. Le défi est relevé; on est pris au piège rapidement mais c'est un sacré pied de s'en dépêtrer. À mesure que le film avance, on se demande souvent si on est en avance ou en retard sur les évènements et notre cher détective. L'autre point fort du film réside dans sa peinture plus que mordante de cette Amérique bouffie par l'avidité et l'orgueil. Une Amérique de "gagnants" qui préfèrent bâtir des frontières et se cloisonner dans ses travers. Un aspect qui prend autant de place ici que le thriller à énigme. La charge est incisive, les archétypes souvent détonants et la symbolique forte.
Et si elle fonctionne si bien, c'est parce que le film dégaine un joker de taille, son casting. Daniel Craig réinvente la figure d'un Hercule Poirot, en lui injectant humour et bizarrerie. Le résultat est un délice. Belles surprises d'une distribution all-star, Ana De Armas et Chris Evans sont tout bonnement succulents, tandis que Jamie Lee Curtis, Toni Collette ou Don Johnson prennent beaucoup de plaisir à tordre leur image. Plus en retrait, Michael Shannon ou Lakeith Stanfield restent néanmoins exemplaires.
Si le film aura servi à quelque chose, en dehors d'être un thriller comique de premier ordre (et ils ne sont pas si nombreux), c'est d'imposer définitivement Rian Johnson comme l'un des raconteurs d'histoires les plus doués de sa génération. Un malin, ce gars-là je vous le dis.