Il est facile de réduire Gore Verbinski à un faiseur de blockbusters – ce qu’il est aussi – mais sa filmographie ne se limite pas à mettre en scène Johnny Depp avec d’énormes budgets d’effets spéciaux. L’Américain a aussi à son actif une comédie noire (The Weather Man), un Road movie avec des stars (Le Mexicain) et une animation gonzo (Rango) . Il est également l’auteur du très efficace remake de The Ring, qui nous offre quelques indices sur ce que son mystérieux Cure for Life nous réserve.
Gore Verbinski signe, avec son scénariste de Lone Ranger Justin Haythe (Les Noces Rebelles) un film qui mêle les codes du fantastique gothique à ceux des thriller psychologiques des années soixante-dix à la manière de Polanski ou Nicolas Roeg. Cure for life suit Lockhart (Dane DeHaan) jeune et ambitieux trader que le conseil d’administration de sa société missionne de ramener d’urgence aux Etats-unis, pour cause de fusion prochaine, le P.D.G de la société en cure dans un mystérieux centre de soins niché dans les Alpes suisses. Sur place alors qu’il rentre à son hôtel après avoir raté les heures de visite , il est victime d’un accident de voiture et se réveille à son tour pensionnaire de l’établissement dirigé par le docteur Volmer (Jason Isaacs tout en bienveillance inquiétante) dont il va bientôt soupçonner que les mystérieux traitements cachent un terrible secret …
Cure for Life fait partie comme les précédents films de Verbinski (ses suites de Pirates des Caraibes et Lone Ranger en particulier) des film ultra-référencés qui tentent une synthèse de leurs genres respectifs : le voyage en train de Lockhart vers le mystérieux centre de soins évoque immanquablement celui de Jonathan Harker vers le château de Dracula, son arrivée à l’institut Volmer suivie, par une caméra aérienne le long d’une route sinueuse évoque le Shining de Kubrick dont on retrouve la marque dans certaines apparitions qui vont tourmenter Lockhart. Une fois dans le centre de cure se combine l’ atmosphère des classiques du « film d’institution » comme Shock Corridor à celle du fantastique.
Mais là ou cette approche aboutissait à des films foisonnants mais maladroits ou carrément ratés comme Lone Ranger dont les éléments ne parvenaient jamais à former un ensemble cohérent, Cure for Life, peut-être car il n’est pas tenu aux mêmes contraintes commerciales est une réussite. Visuellement le film est un des plus beaux de mémoire récente, on est saisi des les premiers instants par son esthétique ultra-graphique qui évoque les publicités pour produits de luxe (proche de celle de The Game de David Fincher) la photographie de Bojan Bazelli (Lone Ranger, The Ring, Mr. & Mrs. Smith) est tout bonnement sublime. Chaque cadre fait l’objet d’un tel travail de composition que chaque plan du film pourrait figurer sur le compte Twitter « One Perfect Shot ».
Pourtant même dans cet univers froid et aseptisé Gore Verbinski parvient dés les premières scènes américaines à faire suinter une anxiété, un malaise et une menace qui ne cesseront d’imprégner le film. A la manière du Dracula de Stoker plane l’idée qu’une force obscure influence les événements dés avant le voyage de Lockhardt. L’idée de la contamination insidieuse du corps et de l’esprit est au cœur du film. Elle gagne peu à peu le personnage de Lockardt qui voit ses traumatismes resurgir. Le réalisateur joue avec nos peurs primales , peur de la maladie , de la folie, des reptiles. Le contraste entre l’aspect juvénile de Lockahrdt et l’age des pensionnaires de l’institut dont Verbinski n’hésite pas à dévoiler l’anatomie (comme dans Shining again) renforce son malaise et son sentiment d’isolation.
La où des longueurs plombaient Lone Ranger , la durée de A Cure for Life (2h26 rare pour un film d’épouvante) sert la distorsion du temps éprouvée par son protagoniste et renforce l’aspect onirique du récit, comme dans un cauchemar dont Lockhart ne semble pouvoir s’échapper. Le jeu sur les reflets de Verbinski (dans les vitres du train ou d’une voiture , dans l’œil de verre d’un animal empaillé ou sur des surfaces aquatiques) questionne la réalité de ce qu’il expérimente. Si Verbinski utilise des techniques entre Hitchcock et Tourneur pour faire monter la tension, aidé par un sound-design anxiogène il sait aussi retourner cette approche « old-school » contre le spectateur avec des scènes chocs dont l’impact provient du fait que justement la caméra ne se détourne pas.
Il a la chance de se reposer sur un excellent Dane DeHaan (Chronicle , The Amazing Spider-Man: Le destin d’un héros , Life) présent dans quasiment toute les scènes son intensité et son charisme un peu étrange sont parfaits pour le film. Dans le rôle d’ Hannah la jeune protégée du Dr Volmer, (dans la vie compagne de Shia Leboeuf) Mia Goth (Nymphomaniac) compose un personnage qui semble sortir d’un film de Burton, innocente et naïve en apparence, sa rencontre avec Lockhart va lui faire remettre en question la réalité de sa situation. Son entente avec Dehaan fonctionne bien et elle assume parfaitement quelques scènes très intenses. Jason Isaacs, un comédien habitué des rôles sinistres joue parfaitement l’ambiguïté affichant une bienveillance assez inquiétante.
Outre sa photographie somptueuse et son sound-design A Cure for life bénéficie de décors impressionnants , le sanatorium étant « incarné » pour ses extérieurs par le chateau Hohenzollern en Allemagne, prés de Stuttgart, merveille gothique nichée au sommet d’une colline et par un hôpital allemand désaffecté pour ses oppressants intérieurs.
Le dernier acte du film pourra partager le public car Verbinski y opère une transition stylistique délicate à nos yeux réussie, plus flamboyant il convoque l’esprit des films de la Hammer ou d’un Mario Bava. Il s’inscrit ainsi dans une démarche proche de celle de Guillermo Del Toro (avec lequel il partage le fétichisme des bocaux , mécanismes et instruments du passé) sur son Crimson Peak mais réussit la ou le mexicain échouait à mes yeux parce qu’il parvient à injecter une vraie déviance et un trouble sexuel indispensable au gothique.