Sous une apparence des plus paisibles, cachée au plus profond de chacun, elle sommeille. Une forme de violence, héritée du passé, des expériences, canalisée et catalysée par nos émotions. Recluse là où nous voudrions qu’elle s’efface, elle s’apprête à resurgir à n’importe quel moment. C’est ainsi que nous est conté A History of Violence.
Une petite ville dans l’Indiana, une famille sans histoires, la routine du quotidien. Rien ne pourrait présupposer une quelconque défaillance ou un élément perturbateur qui viendrait semer le désordre. Si ce ne sont, bien sûr, ce père et ce fils voyous qui nous sont présentés dès le tout début du film. Dans un long plan-séquence avare en paroles, un climat pesant s’installe, la manifestation d’une menace nomade et mobile, qui peut frapper n’importe qui. Fatalement, elle devra croiser le chemin de Tom, et c’est à ce moment que Cronenberg vient jouer avec les attentes et les réactions du spectateur.
Le type ordinaire devient un héros quand il descend deux malfrats pour se défendre, avec un sang-froid et une maîtrise impressionnants. Justicier anonyme, il devient le modèle d’une ville qui l’admire, et le phénomène de foire idéal pour des journaux qui alimentent cette image. Ce qui partait pour devenir un vigilante movie va, cependant, prendre un virage tout autre. Dans A History of Violence, Cronenberg semble sans cette présenter des éléments scénaristiques très classiques, mais il parvient toujours, de manière manifestement volontaire, à les désamorcer, pour désacraliser ces formes de violence héroïques et rendre cette violence beaucoup plus viscérale et naturelle. Par exemple, Tom abat deux malfrats, devient un héros, mais une ambiguïté se crée à propos de son personnage. Jack, le fils, est harcelé au lycée par un idiot, suivant une relation bourreau/victime très classique, où le dernier finit par prendre le dessus. Mais toute forme de satisfaction chez le spectateur, liée à la manifestation de la violence, est nuancée et freinée par le propos général du film.
De par son titre, A History of Violence, le film se présente comme une fable avec un propos très général sur la violence. Pour l’alimenter, Cronenberg s’appuie sur une mise en scène très percutante, sèche, et il puise dans plusieurs genres cinématographiques lui permettant de donner le bon ton à son discours. On voit l’influence du film noir et du film de gangsters, dans ce ton résolument pessimiste, cette situation toujours plus complexe et dont on sent qu’il sera toujours plus difficile de s’en extirper. On pense aussi, dans ce cadre très rural, au western, cette vision d’un monde qui cherche l’ordre, mais toujours soumis à des individus sans foi ni loi, où l’humain est encore largement en proie à ses instincts primaires. Dans cette quête d’une rédemption impossible s’exprime toute la dualité de l’humain, cherchant une forme de bonheur à travers la quiétude, l’amour et la sérénité, mais toujours en proie à ses pulsions, traînant les fardeaux du passé, capable de les refouler, mais devant vivre avec.
Niché quelque part entre le film noir, le film de gangsters et le western, A History of Violence invoque les fantômes du passé et la dualité de l’humain pour le ramener à ses origines et à l’expression de ses instincts primaires. Cronenberg amorce et désamorce, fait croire et sème le doute. Globalement convaincante et bien écrite, cette fable exprime une forme de vérité qui blesse, elle met en lumière nos aspects les plus sombres pour rappeler qu’ils font partie de nous. Percutant et viscéral, avec un Viggo Mortensen très crédible, A History of Violence propose une réflexion pertinente sur nos origines, l’évolution de nos instincts dans notre société, et le choc entre ces derniers, et la vie en société.