On dira ce qu'on veut, mais David Cronenberg reste le maître quand il s'agit de filmer des monstres.
L'oeuvre de Cronenberg peut se voir comme l'exploration de cette notion de "monstre" : le monstre physique (Chromosome 3, La Mouche), la monstruosité de l'esprit (faux semblants, incroyable!, scanners) ou de la société (eastern promises). Si dans la mouche, la transformation physique de Jeff Goldblum suit sa mutation mentale, a History of Violence propose un parallèle encore plus troublant : il ne s'agit plus d'accepter le monstre pour ce qu'il est, mais bien de reconnaître que nous sommes pareils. Les valeurs que nous défendons, les mensonges dont nous nous convainquons ne sont là que pour cacher notre similarité au monstre qui semble "hors norme", violent et d'une froideur inhumaine quand ça l'arrange. Nous sommes tous des monstres, la question est de savoir si on en est conscient et si on s'en cache. Tous les questionnements qui émergent d'ailleurs dans la ville paisible de Maria Bello et Viggo Mortensen suite à l'évènement modificateur du film ne sont liés qu'au paraître, à l'histoire qu'on se raconte pour se rassurer qu'on est quelqu'un de bien et que tout va bien dans le meilleur des mondes.
Le génie du réalisateur se manifeste dans la mobilisation de clichés issus de la société américaine (la famille parfaite, la violence acceptée via l'idée de légitime défense, la défense de valeurs traditionnelles, le "bad guy" vicieux venant de la ville contre la pureté des valeurs défendues dans une petite ville) et une "inception" parfaite :
Celui qu'on prend pour un white knight défendant son foyer faisait en fait partie des éléments destructeurs et moralement répréhensibles qui menacent la vie paisible de la communauté attaquée ... La seule différence : Contrairement aux autres, il a accepté les normes sociales qui lui permettent de vivre dans cette nouvelle communauté. L'utilisation de la violence est légitime dans les deux communautés, ce n'est juste pas le même principe de justification.
A History of Violence est une histoire de famille, entre famille américaine et famille mafieuse. Qui sommes-nous pour placer l'une au dessus de l'autre ? Certes, on a un a priori. Et la grande force du film est de nous montrer qu'elles ne sont pas si éloignées l'une de l'autre si on porte un regard cynique sur la société, si on accepte de s'aveugler sur notre nature ou pas... Au fait, je vous ai dit que la personne la plus clairvoyante du film est borgne ?