Bonjour à tous,


Aujourd' hui, je tiens à faire la critique de ce film de Cronenberg. Et, peut-être, le faire découvrir... Qui sait....


D’une histoire singulière de violence, en passant par la violence comme constitutive de la fondation d’un pays, jusqu’au mythe originel de la Violence, Cronenberg joue sur différents niveaux de lecture tout en livrant un film de facture plutôt classique.


A History of Violence demeure pourtant un pur produit Cronenberg, poursuivant ses réflexions sur les relations entre le corps et l’esprit, entre Eros et Thanatos. Comme souvent chez lui, les pulsions de l’esprit, qu’elles soient sexuelles ou morbides, aboutissent immanquablement dans des séquelles physiques qui abiment les corps (les éruptions cutanées de Chromosome 3), voire les transforment (le corps de Jeff Goldblum dans La mouche, le corps méta-humain robotisé de Rosanna Arquette dans Crash).


Que fait le cinéaste canadien David Cronenberg lorsqu'il abandonne les appareils à transformer les hommes en mouche, les jeux vidéo branchés sur le système nerveux des protagonistes, la libido chauffée à blanc sur de la tôle froissée et autres joyeusetés qui lui valent la réputation méritée d'un grand cinéaste de genre ? La réponse est simple, elle tient en un mot dont on se garde d'abuser dans ces colonnes : un chef-d'oeuvre. A History of Violence est un chef-d'oeuvre méconnu par le jury du Festival de Cannes, mais qui n'en élève pas moins Cronenberg à une hauteur que peu de ses confrères parviennent à atteindre.


Un chef-d'oeuvre enfin tel que les cinéphiles et le plus large public les apprécient, en vertu de l'empreinte industrielle du projet (un film de commande adapté de la bande dessinée éponyme de John Wagner et Vince Locke), de la simplicité du propos (une histoire rectiligne, hyper-efficace, qui file droit comme une flèche au coeur de la cible), et du genre auquel il appartient (un pur thriller). Tout le génie du cinéaste consiste évidemment à respecter l'apparence de ces définitions pour mieux les atomiser de l'intérieur.


D'une certaine manière, A History of Violence est tout entier construit sur cette duplicité, oeuvrant sans répit dans l'insondable interstice qui sépare l'apparence de la réalité. Cela commence dès la scène d'ouverture, qui montre deux types sortant tranquillement d'un motel isolé pour reprendre la route. L'atmosphère est calme, tout porte à croire que ces personnages sont en voyage d'agrément ou d'affaires. Tout, sauf le fait qu'ils ont oublié de prendre de l'eau pour le voyage et que le mouvement de caméra qui suit l'un d'entre eux jusqu'à l'intérieur du motel révèle au spectateur un crime sanglant, dont l'apothéose monstrueuse a lieu sous ses yeux en temps réel, avec l'assassinat de sang-froid d'une fillette qui avait survécu au massacre.


Cette remarquable séquence inaugurale, qui révèle un silencieux carnage sous une atmosphère de pastorale américaine et deux voyous vicieux sous les oripeaux de deux possibles représentants de commerce, met le film sur des rails qu'il ne quittera plus. Raccordant sur le hurlement de la fillette assassinée, Cronenberg nous transporte dès la séquence suivante dans la chambre à coucher d'une autre petite fille, dont les cris consécutifs à un cauchemar (elle a vu des "monstres") font accourir ses parents à son chevet. Même opération dès lors : un coin tranquille du Midwest, une famille unie et aimante, une mère jeune et jolie (Maria Bello), avocate, amoureuse de son mari, un père affectionné et paisible qui tient un petit diner (friendly service) dans la bourgade toute proche. Un monde parfait, une idylle américaine.


Jusqu'au jour où les deux tordus entrevus au début du film débarquent dans son troquet pour le braquer, prennent au passage une serveuse en otage, et se font contre toute attente massacrer en un éclair, dans une irruption de violence inouïe, par Tom Stall (Viggo Mortensen). Fin des méchants, fin des ennuis ? Ce serait un court métrage subventionné par la Maison Blanche. C'est tout le contraire qui se produit, sous le signe ambigu de la seconde chance et de la double personnalité. Célébré comme un héros par la télévision nationale, Tom Stall voit bientôt débarquer dans son restaurant le patibulaire Carl Fogarty (Ed Harris en limousine noire, oeil crevé et balafre sur la joue, terrifiant de douceur pateline), qui prétend le connaître de longue date sous le nom de Joey Cusack et le ramener à Philadelphie auprès de son patron, Richie Cusack (prestation éblouissante de William Hurt en évangéliste du crime), un ponte de la mafia locale qui ne serait autre que le frère de Joey.


Il s'établit alors dans le film une sorte de suspense fascinant sur l'identité du personnage, entre l'image du père de famille au-dessus de tout soupçon usant de la légitime défense et celle de l'ancien truand, réputé pour sa folie meurtrière, qui aurait refait sa vie avant d'être rattrapé par son passé. C'est tout le vertige de ce film ­ - vertige qui affecte au premier chef la famille du héros ­ - que de suggérer qu'il n'y a pas même l'épaisseur d'une feuille de papier à cigarette entre ces deux histoires, mais qu'elles peuvent simultanément cohabiter et agir dans le corps et l'esprit d'un seul homme. C'est bien à ce double titre ­ - comme père de famille et comme criminel ­ - que la violence va progressivement s'imposer comme la seule réponse adéquate du héros à la situation, au cours d'un crescendo dans la sauvagerie d'autant plus remarquable que la peur qui s'y attache est moins relative à sa brutalité qu'à la trivialité qui la contient.


Servi par un scénario retors, une mise en scène tirée au cordeau et des acteurs exceptionnels, A History of Violence se révèle donc un film d'une plus grande complexité qu'il n'y paraît. Moins un thriller qu'un film dont le réalisme même confine au fantastique, et dans lequel Cronenberg aura finalement réussi à recycler ses motifs de prédilection (le double, l'inconscient, la mutation, les limites de l'humanité...).


Un film qui se développe aussi, sans perdre une once de cohérence, sur plusieurs strates à la fois. Celle de l'intrigue romanesque, qui implique des personnages ordinaires en proie à une tragédie qui les révèle à leur véritable nature. Celle d'une allégorie de l'Amérique néoconservatrice et néocalviniste qui culmine dans le massacre final et la régénération schizoïde du héros par immersion baptismale dans un bassin. Celle enfin d'une philosophie du mal défini comme principe fondateur de l'humanité, qui se propagerait sur un scénario de contagion (les deux ordures originelles, l'accouplement haineux du mari et de la femme, l'accolade sanglante du père et du fils, le baiser meurtrier entre frères...).


Cela suffit à faire de A History of Violence le plus virulent virus artistique introduit depuis longtemps dans le système du cinéma anglo-saxon.....


Un film traitant de la complexité de la violence, de ses retombées, sans jamais être moralisateur. L'auteur utilise une histoire des plus classiques pour justement déglinguer tous les codes et nous offrir une oeuvre subversive, dont les questions comme "peut-on réellement changer ?" ou "la violence est-elle encrée en nous ou est-ce un état d'esprit ?" se dressent tout au long du film tout en finesse. L'intensité dramatique augmente, tour à tour entre drame familial et mafia, pour atteindre son paroxysme aux dernières images. La réalisation est sobre, sans fioritures, les décors un peu trop ternes peut-être, et les acteurs époustouflants. Reste quelques scènes dont l'utilité reste à prouver, je pense par exemple au 69 entre les deux protagonistes. Et aussi un affrontement final un peu bâclé. Le film reste tout de même une oeuvre brillante, bouleversante, dont la morale finale peut malgré tout profondément refroidir certains.....


"A History of Violence" n'est ni long ni ennuyeux, ou même plat. Non, là, il se passe presque tout le temps quelque chose, à une ou deux exceptions prêts, et il n'y ni longueurs ni lenteurs. Seulement deux scènes ne servent pas à grand chose, si ce n'est à rajouter de la durée à ce film d'une heure et demie, donc j'y reviendrai plus tard. C'est surtout une fois passées les vingt premières minutes que vous rentrerez dans le fil de l'histoire, et pourrez alors profiter du scénario tortueux et des divers retournements de situation qui s'offriront généreusement à vous. Car oui, moi qui pensait ne voir qu'un métrage sur les médias et le procès d'un père de famille ayant usé de légitime défense pour tuer deux hommes, je peux vous dire que j'ai été bien plus que surpris! Agréablement, cela va de soi. Je ne vous dirai pas de quoi parle "A History of Violence", pour ne pas vous spoiler l'intrigue, puisque trop vous en dire serait vous gâcher, d'une certaine façon, le plaisir de visionner cet excellent film. Une fois de plus, David Cronenberg apporte sa propre touche à son oeuvre. A la manière de la réalisation de "Cosmopolis", celle ci est tout aussi maîtrisée et, tout de même, assez "virtuose", surtout lorsque l'on peut assister aux scènes de combat, divinement bien tournées. Et justement, on retrouve ici une violence plutôt présente qui, sans être trop poussée, sera suffisamment là pour rendre le tout assez dur. Bon, il ne l'est pas autant que "Les Promesses de l'ombre" du même réalisateur, mais quand même! Quand on s'attend à un film lent et plat, on ne peut qu'être surpris par de l'action et du sang qui gicle à quelques reprises. Argument imparable, "A History of Violence" est tellement bien pensé, scénarisé et réalisé que sa violence n'est jamais exagérée. En effet, elle demeure, durant toute la durée du film, crédible et réaliste. Outre une action plutôt bien gérée, ce long-métrage possède une autre qualité imposante. Laquelle? Son casting. Ceux qui connaitront ou auront vu le très bon "Appaloosa" comprendront aisément que Viggo Mortensen, Aragorn du "Seigneur des anneaux", et Ed Harris, acteur principal d' "Abyss" et réalisateur de ce même "Appaloosa", forment un duo aussi impressionnant qu'imposant à l'écran. Les deux sont charismatiques, et je dois dire que je préfère légèrement Viggo Mortensen. Je ne parle pas sur un point de vue de jeu d'acteur, puisque tous deux sont au même niveau, au niveau le plus haut, non. Je les juge plutôt sur les films auxquels ils ont participé et qui ont marqué mon enfance. Pour Viggo Mortensen, il y a "Lords of the Rings", que j'ai cité plus haut, mais aussi "The Road", lui aussi marquant, ou encore "Les Promesses de l'ombre". Pour Ed Harris, je n'en retiens pas des masses, mise à part "Appaloosa" et "Abyss", et comme je n'ai pas grandi avec ce dernier, cet acteur n'a pas eu le même impact sur moi. Pour ce qui est des autres interprètes, c'est parfait aussi, surtout pour William Hurt, très crédible dans son rôle, et Maria Bello, qui nous livre une prestation engagée et dramatique....


Bref, ce film est vraiment excellent ! Le dernier coup de coeur récent pour un Cronenberg.... Paix à son âme.


Sur ce, portez vous bien. Regardez ce film. Tcho. @ +.

ClementLeroy
9
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Créée

le 27 mars 2015

Critique lue 196 fois

San  Bardamu

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