Avec le Printemps du cinéma et ses places à 4€, j'ai décidé de profiter au maximum de ces passionnantes salles obscures.
Après avoir été déçu par The Batman, puis emballé par le thriller Goliath, je suis allé voir A plein temps en me fiant aux belles critiques publiées sur notre site bien-aimé.
L'abnégation forcée d'une mère célibataire
Dès les premières minutes, je me suis attaché à Julie, cette "mère courage" (merveilleusement interprétée par Laure Calamy) qui doit jongler entre sa vie de maman célibataire à la campagne et son fastidieux métier de première femme de chambre dans un palace parisien. Alors que Julie n'a déjà pratiquement pas de temps à consacrer à sa propre personne (et que son ex-mari ne prend pas son rôle de père très au sérieux), une grève des transports éclate et bouleverse, telle une réaction en chaîne, le fragile équilibre qu'elle semblait avoir obtenu au prix d'importants sacrifices.
Nous sommes alors embarqués dans une succession d'évènements que nous vivons à un rythme effréné avec Julie.
Le tour de force du réalisateur Eric Gravel est de nous faire souffrir, angoisser, espérer avec cette femme qui n'a d'autre choix que de se battre, sans répit. L'empathie est totale.
"I saw you run. Reminds me of people that come from the ghetto."
Cette réplique est tirée du film Time Out d'Andrew Niccol. Dans cette dystopie où le temps est littéralement de l'argent, les plus pauvres meurent très jeunes, alors que les plus riches, quant à eux, sont quasi immortels. Dans A plein temps, et comme la belle affiche du film nous l'indique, il est aussi question d'une course constante contre la montre. Julie court, souvent et vraiment très vite (sérieusement, elle ferait un malheur aux JO de Paris), que ce soit pour entrer in extremis dans le train, pour ne pas arriver en retard à son travail, ou pour éviter que la nounou qui garde ses enfants ne perde patience.
Le temps est insaisissable, un luxe inaccessible. Julie n'a pas une minute pour se poser
(les scènes dans la baignoire, ou la soirée à laquelle elle est invitée).
"Le peuple est impopulaire"
En juxtaposition avec le thème du temps, c'est la question sociale qui sert de toile de fond tout en constituant le cœur du récit. Cette grève qui n'en finit plus, perturbe avant tout la vie des gens les plus modestes (comme Julie), mais sert pourtant une cause sociale tout à fait légitime. Nous sommes bien loin des préoccupation des richissimes clients de ce palace indécent où l'élite défèque symboliquement sur les pauvres
(voir l'incroyable scène du karcher)
. Le décalage est abyssal, douloureux.
Mais la confrontation ne se limite pas à une opposition "riches / pauvres". Nous assistons également à un combat entre personnes issues de cette même classe défavorisée. A plusieurs reprises, notre excès d'empathie envers Julie nous détache du sort d'autres personnages pourtant autant, voire plus vulnérables socialement que la protagoniste. Le besoin de survie laisse, malheureusement, peut de place à la solidarité.
Voici quelques exemples :
Si Julie est (légitimement) très embêtée par la grève des transports, elle ne cherche jamais à comprendre les revendications du mouvement social.
Lorsque sa collègue se fait virer à cause d'elle, elle réagit avec un réel manque de sensibilité.
Julie fait également les frais d'un manque de solidarité quand elle a besoin de quelqu'un pour la remplacer, et que ses collègues se retournent contre elle en la dénonçant à la cheffe. Il s'agit d'une véritable trahison.
Le seul personnage qui semble se soucier un tant soit peu du mouvement social est Vincent (Cyril Gueï), qui part manifester en soutien des grévistes avec son imposant SUV. L'image est forte, le décalage social entre Vincent et Julie est évident.
Le message social du film est assez subtile mais n'en demeure pas moins efficace. Si les pauvres sont contraints de consacrer l'intégralité de leur temps à leur survie, ils ne seront jamais, dans leur majorité, en mesure de contester l'ordre social établi. L'inégalité du temps est aussi une inégalité sociale.
Je suis sorti de la salle bouleversé par cette rencontre à mi-chemin entre la fiction et la réalité documentaire (comme le fait si bien le cinéma social brésilien avec des chefs-d'œuvre tel que Une seconde mère) , surtout après cette fin monumentale qui a bien failli me faire verser quelques larmes (ce qui n'est plus arrivé depuis Le Portrait de la jeune fille en feu) bien décidé à écrire ma première critique ici même.
Merci d'avoir pris tout ce temps pour me lire et vive le cinéma.