Le cinéma social a le vent en poupe. Pour son second métrage Eric Gravel en détourne le genre avec un dynamisme qui fait de son cinéma vérité une vraie réussite. Une intrigue totalement en décalage de ce qui nous ait donné de voir habituellement par le rythme soutenu de chaque instant, au stress immersif et à la tension récurrente que sert le personnage de Julie (l'étonnante Laure Calamy). On suivra à la trace le parcours du combattant de cette femme à la survie fougueuse, renforcé par la musique choisie d'Irène Drésel, ses tonalités électro, son tempo et ses envolées stridentes. Gravel fait du banal quotidien, toute une histoire au suspense étonnant.
A l'image de l'affiche du film, Julie ne fait que courir, sprinter même dans le fourmillement de l'activité humaine, des bouchons, des nombreux changements de lignes et de bus bondés, le regard parfois absent de lassitude pour repartir de plus belle et rend compte de la condition de ceux qui travaillent. De cette grève qui immobilise toute la ville, rejoindre son poste à l'heure, devient alors un challenge de tous les jours tout en soulignant l'absence d'empathie des patrons et l'invisibilité des travailleurs mais aussi, et enfin, montrer la solidarité des conducteurs pris dans la même galère quitte à s'imaginer une belle et grande histoire d'amour à venir.
Les lieux se confondent, les grands parcours souvent nocturnes, ne sont rendus que par la course effrénée et à bout de souffle, dans une ville tentaculaire inconnue qui relèverait presque de la science fiction tout comme les nombreuses contraintes que subit Julie en quelques jours et qui laissent perplexe de tant d'abnégation. Le week-end semble ne même pas exister. La campagne devient un lieu fantasmatique dont on ne peut profiter, alors que les enfants égaux à eux-mêmes prennent tout le temps restant. Mère célibataire, au père peu concerné, à la nounou fatiguée des écarts horaires et aux finances vacillantes, Julie, c'est le portrait de tout un pan de la société soumis à la dictature du travail et de ces femmes au patriarcat. On remarque la justesse de jeu de la si parfaite Anne Suarez pour souligner par son rôle tampon la complexité de la tâche à gérer employés et direction. Quant à l'éventualité d'un nouveau poste pour Julie, où on prend bien garde de lui rappeler à que l'on attendra d'elle, c'est la non moins parfaite et peu commode Lucie Gallo, qui démontre ce cercle vicieux et manipulateur du monde du travail, qui agite sa carotte pour mieux vous soumettre.
Laure Calamy excellente et oscillante, joue de ses expressions entre joie de vivre et abattement, moment d'absence et regain d'énergie, pour une sorte de marionnette soumise à vents contraires, en représentation constante face aux autres. Ce seront un élan amoureux avorté et un poste qui semble lui glisser des doigts, qui font craindre le drame et révèle la dépression latente lors d'une scène saisie comme un interlude, rassurant, au bord des rails, et une résolution parfaitement ironique qui boucle la boucle.
Eric Gravel marque la rétine et c'est peu de le dire.