Elle court, elle court, la maman isolée qui vit loin de Paris (évidemment, où d'autre?) pour aller y accomplir son travail qui lui permet de nourrir et d'élever ses deux enfants qu'elle confie à une voisine de 6h du mat' à 8h du soir tous les jours parce qu'elle doit travailler pour les nourrir et les élever. Hélas, il y a des grèves qui.. pardon, des "mouvements sociaux" et les transports en commun fonctionnent mal. Alors, elle arrive en retard et perd son travail mais c'est pas grave parce que..
elle en a trouvé un autre et elle est sauvée, merci mon dieu-kapital. Elle va donc pouvoir recommencer à courir pour nourrir ses deux enfants, mais sur une autre ligne de RER.
Certes, le cercle vicieux de la vie "moderne" est ici fort bien décrit. La musiquette obsédante et forcément répétitive fait bien son boulot. Laure Calamy est parfaite dans son rôle de femme seule oppressée (mais attention, pas opprimée, ouh là là, non; voir plus loin) qui cherche à s'en sortir malgré toutes les adversités diffuses qui lui ravagent le destin.
Mais alors, qu'est-ce qui cloche dans ce film?
Le fait qu'il sous-entende que les grèves, c'est pas cool, parce que ça empêche les gens d'aller au boulot, merde à la fin? Le fait qu'il n'ait aucun recul sur les odieux personnages du monde patronal et nous les présente comme la nouvelle norme sociale que l'on ne saurait remettre en question (alors que ce sont des ordures sociopathes aussi méprisantes que méprisables)? Le fait que le seul espoir qu'il laisse miroiter à la fin, la seule solution au marasme social catastrophique soit de.. trouver un autre boulot? Ouais, il y a de ça et un peu plus encore, mais il faut avouer que c'est fort bien dissimulé sous un humanisme de bon aloi.
Loin d'être un pamphlet ou une courageuse dénonciation, je trouve au contraire que ce film traduit parfaitement l'ambiguïté profonde, la naïveté alarmante, l'ignorance épuisante, la pseudo-innocence du monde où nous vivons aujourd'hui, et tout particulièrement celles de la génération née dans les années 1980, qui n'a donc connu que le néo-libéralisme morveux à la Thatcher/Reagan comme forme de société. Si vous cherchez de la rébellion dans ce film, vous n'en trouverez pas la moindre trace. Pas même l'ombre d'une revendication quelconque, sinon celle de devenir un bon petit soldat de la guéguerre économique, et aussi un ennemi du wokisme (ah, tiens, le correcteur automatique ne connaît pas ce mot; ça doit signifier quelque chose, mais quoi?)
Je parie que si l'on demandait aux créateurs de ce film s'ils se considèrent comme étant de gauche, ils répondraient oui. Et que si on leur faisait remarquer qu'être à gauche d'une droite qui glisse vers l'extrême-droite depuis quarante ans, ce n'est plus être de gauche mais, au mieux, du centre mou (celui qui croit que Valls ou Roussel sont de gauche), ils ne comprendraient pas, ou se contenteraient de sourire bêtement. Nul doute qu'ils croient qu'A plein temps constitue une critique en bonne et due forme de la société néo-libérale, un truc qui peut mener à la Révolution, ou qui y participe légitimement.
En réalité, ce n'est qu'un pétard mouillé qui jérémiade "Mais qu'est-ce qu'on peut faire?", un état des lieux semi-branlé puis perdu sous un meuble, un constat banal et banalisant, un monumental baissage de bras suivi d'un péteux "M'en fous; j'ai trouvé du boulot. Je suis sur la voie du bonheur. Les autres peuvent crever; ils n'avaient qu'à se lever plus tôt."
Avions-nous besoin d'un autre film pour nous dire que les gens sont de sales petits soldats vicieux prêts à se déchirer les entrailles pour accéder au Graal du monde moderne: l'Emploi, clé du bonheur et de la réussite sociale. Je ne le crois pas.
(Et une fois de plus, les vrais responsables de ce misérable état de faits ne sont pas nommés. Et ils s'en foutent.)