De l'escroquerie, donc. Pas le truc jubilatoire comme chez Scorcese, mais une histoire dure , s'appuyant sur la faiblesse d'une femme qui se retrouve diminuée après de multiples AVC.
Inspiré de sa propre histoire avec Rocancourt, ce nouveau métrage de Catherine Breillat est un film sec, nerveux, sans aucune matière grasse. Pour qui a la chance d'avoir vu, entendu, admiré la réalisatrice, c'est surtout une vague d'incompréhension face à ce qui est en train de lui arriver, cette perte de soi, ce glissement inexorable, incontrôlé et totalement dangereux vers ce Vilko à l'air mauvais, voire maléfique au premier coup d'oeil, à tous les coups d'oeil, sauf le sien...au passage, Kool Shen est parfait pour le rôle, son espèce de neutralité permet de plaquer sur lui tantôt la douceur vraie ou fausse, tantôt la violence ...
Paradoxalement, l'abus de faiblesse n'est pas caractérisé , tant Isabelle Huppert déploie pour son personnage une force, une énergie, une rage incroyables pour qu'il reste dans le mouvement, dans la vie, et tant donc ce personnage est un personnage fort. La faiblesse n'est donc pas mentale, elle est même si peu physique, il n'y a qu'à voir sa détermination pour aller au bout de chaque geste banal rendu surhumain par l'infirmité (Séquences magnifiquement jouées par une Isabelle Huppert plus que diaphane, très bien filmées aussi) .Non, sa faiblesse est conjoncturelle, elle rencontre cet escroc au mauvais moment , à l'issue de cet affreux AVC, à un moment où peut être avait-elle la panique de ne plus être intéressante ni désirable d'une certaine manière (le sexe n'étant pas un sujet entre eux) . La faiblesse est conjoncturelle aux moments des prises de certains médicaments qui obscurcissent son jugement. Puis un engrenage s'installe, que personne ne semble pouvoir arrêter.
Vilko lui même, extrêmement antipathique dans sa suavité calculée, dans sa brutalité à fleur de peau, Vilko lui-même semble aussi attiré par Maud pour des raisons obscures, parallèles évidemment aux opportunités d'escroquerie. Des raisons un peu similaires à celles de sa victime : échec des tentatives antérieures, prison, femme qui se dérobe à grande vitesse ...entraînant une attirance vers cette autre femme qui l'admire ouvertement.
Les liens qui les unissent sont inqualifiables, inédits, et pernicieux dans tous les cas. Ces liens qui s'étoffent nuit après nuit, car c'est le plus souvent dans son lit (et au téléphone) que Maud se fait happer par Vilko.
Film assez peu attirant au niveau esthétique, en dehors d'un premier plan très intrigant et prometteur, il l'est tout à fait par son dispositif narratif à la limite du documentaire en ce qui concerne le quotidien de Maud, ce qui permet d'élaguer tout pathos, toute sensiblerie par rapport à cette femme "faible". La froideur de l'ensemble est ensuite balayée par la magnifique séquence de fin qui transcende Isabelle Huppert, qui nous montre à quel point cette femme ne comprend pas, et sans doute ne comprendra jamais; c'est moi, et ce n'est pas moi, dit-elle, il n'y avait personne d'autre, alors c'est moi, dit-elle encore. Ni revendicatif, ni accusateur, le film, comme Breillat le dit elle-même, est un récit, une fiction, même, et non une catharsis. Et c'est ce qui le rend intéressant.