« Sur trois millions d’habitants, c’est moi qu’on veut ? »

Oui Accattone c’est vous que nous voulons. Votre photogénie ne m’empêchera pas de vous juger.


Accatone vous avez des longueurs, votre rythme ne tient pas mais de cela, je vous en tiendrai pas rigueur, il s’agit du premier film de votre auteur.


Accattone, Pasolini a décidé de ne pas pas prendre position vis-à-vis de vous, je le ferai pour lui. Comme dans tous ses films, Pasolini pose un regard neutre. Nous voyons ici le commencement de ce choix de narration et de mise en scène. Cela me dérange presque, vous me révoltez Accattone, vous ne m’inspirez pas de compassion, peut-être un peu de pitié. Votre auteur ne vous condamne pas, je ne sais pas si j’aurais préféré qu’il le fasse. Je comprend aussi ce choix déroutant, nous, spectateurs, pouvons tenter de nous forger notre propre opinion. C’est aussi ce qui vous rend intemporel Accattone. Comme cela, pas de problèmes d’évolution des mœurs. Nous pouvons tout de même nous douter que Pasolini, qui propose un cinéma politique, en mettant en exergue l’exploitation des travailleuses du sexe, la critique. Le choix d’un sujet n’est jamais anodin.

Accattone, vous ne voulez pas travailler pour les gens, mais vous exploitez les femmes pour qu’elles travaillent à votre place. Comment ne pas porter de jugement ?


Autre thème délicat et complexe que Pasolini choisit d’explorer, celui du suicide. Accatone vous vous jetez d’un pont et en parlez à plusieurs reprises. Le suicide est lui aussi abordé de manière neutre. La problématique principale est matérielle. Que faire de votre or Accattone ? Vous souhaitez le gardez dans votre mort, les autres le veulent. Vous voyez le suicide comme une plaisanterie. Néanmoins, il démontre la tragédie sociale que vous incarnez. Cet acte apparaît, au fur et à mesure comme le seul moyen d’échapper à la misère. Nous voyons tous deux que le seul souvenir que vous laisseriez serait celui de vos bijoux en or au fond de l’eau, pourquoi ne pas le faire ?

Au commencement, votre « ami » ne cherche pas à vous retenir…

Encore une fois, Pasolini laisse son spectateur démêler ce qui lui semble juste. C’est un travail intéressant qu’il semble nous inviter à faire, élaborer notre propre avis.

Cette neutralité n’est évidemment pas anodine. Et, paradoxalement, elle est enrichissante.


Accattone, sous vos petits airs, vous êtes une grande tragédie. Vittorio vous ne trouvez pas de solution, même quand vous nous donnez de l’espoir en suivant votre frère. Rien ne fonctionne. Vous êtes un fainéant mais comment ne pas le devenir face au monde dans lequel vous vivez ? Peut-être l’êtes-vous devenu par désespoir. Accattone vous dépassez le néo-réalisme pour vous inscrire dans la tragédie mythique, vous êtes un héros sans voie de bonheur, vous ne l’atteindrez jamais. Personne dans votre monde ne le peut, c’est bien cela au fond que nous montre Pasolini : un monde dégueulasse, qui pue, qui fait grincer les dents. Un monde où chacun est à sa place et la garde, à moins qu’il aille en prison comme Madallena. De prostituée à prisonnière, sombre destin tout tracé.


Les images de ruines, de gamins jouant avec des bouteilles de verre montrent le pathétique de votre situation. D’enfants à personnes âgées, encore une fois, le destin est tracé.

Comment ne pas songer au suicide ?

Cette vision aussi pessimiste est quelque peu contre-balancée par votre onirisme qui atteint son paroxysme pendant votre rêve. On se croirait presque dans Le voleur de bicyclette de De Sicca sorti en 1948. La mobilité extrême des yeux de la caméra qui se traduit par des travellings, des zooms et des panoramiques entraîne le spectateur dans cette course effrénée au bonheur, à la tranquillité. Un voyage à travers la misère sociale qui parfois nous amuse de manière grinçante du fait de l’ironie sans limites de Pasolini.

Je parlais des yeux de la caméra mais parlons aussi de ceux des personnages. Ils sont filmés en très gros plan ou en gros plan au milieu du visage. Je m’interroge encore sur leur signification. Accattone, à travers cela vous m’emportez dans la dureté de l’existence qui ne peut que me glacer. Des yeux, des yeux, des yeux, vos yeux, mes yeux ?

Votre musique de Bach dont la Passion selon Saint Mathieu, choix amusant quand on sait que Pasolini réalisera L’Évangile selon Saint Mathieu en 1964, dénote de tout cet univers, ses coupes franches nous rappellent celles de Robert Bresson dans Un condamné à mort s’est échappé sorti en 1956. Dans ces ces deux longs-métrages, la musique est élévatrice et apparaît à des moments très précis. Accattone, vos personnages sont au sol, en confrontation lorsque Bach apparaît, la dimension religieuse de sa musique donne une toute autre profondeur à vos séquences. Une dimension christique apparaît par l’invisible. Il en est de même dans les longs-métrages de Bresson. Alors, que l’invisible nous dit de vous Accattone ? Il nous rappelle que vous êtes une grande tragédie cette fois pas uniquement mythique mais aussi mystique. Vous possédez une double profondeur qui me procure une sensation de vertige, vous êtes bien plus complexe que vous ne pouvez sembler l’être. Vous êtes grand Accattone.



Accattone, tu m’émerveilles comme tu me révulses, tu me séduis comme tu me révoltes, tu me plais comme tu me m’agaces.

Accattone, je veux te revoir.

Alicepr
7
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le 10 mai 2023

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Alicepr

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