Un titre d'une farouche ironie
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La grande force du film d'Alejandro Amenábar, c'est son contexte historique et religieux. Il s'agit là d'un péplum et d'un film philosophique ... un péplum philosophique, quoi !
Agora, c'est une réflexion sur le savoir, la recherche de connaissance en sciences et tout particulièrement en astronomie. Plusieurs plans du film montrent la Terre vue du ciel, voire même de l'espace. On explore donc les mystères de l'univers, mais on reste à l'échelle humaine, dans cette petite cité d'Alexandrie.
Nous sommes au IVème siècle après J-C, en Egypte dans la cité d'Alexandrie. Dés les premiers plans du film, on assiste à un cours de savants/professeurs avec des élèves à la bibliothèque, qui se posent des questions sur l'immensité de l'univers et sur les règles qui la régissent. Ils cherchent donc à percer les mystères de l'univers et tout particulièrement sur le mouvements des astres "errants". A cette époque, ils ne connaissaient que les cinq planètes les plus proches de la Terre, de par leur position et leur forte luminosité. Ils ne comprennent pas pourquoi, dans un système géocentrique, les planètes qui les entourent (mercure, vénus, Mars, Jupiter et Saturn) ne suivent pas la même trajectoire que les autres étoiles, donnant l'impression qu'elle tournent sur elles-mêmes (le mouvement rétrograde). Ils ne comprennent pas non plus, toujours dans un système géocentrique, pourquoi une même étoile semble parfois plus proche (plus grosse) et parfois plus loin (plus petite).
En parallèle, nous suivons le triangle amoureux entre la savante Hypatia (Rachelle Weiz), l'élève Oreste (Oscar Isaac) et l'esclave Davus (Max Minghella) qui assiste Hypatia. Elle est une savante païenne, donc une femme et une non croyante, tout ce que détestaient les chrétiens. Quant à l'élève Oreste, il est destiné à une grande carrière et ne cesse de la courtiser, pour n'obtenir en retour que des refus. L'une des scènes les plus touchantes du film (et on aurait aimé en avoir plus) est lorsqu'il joue de la flûte à double bec dans le petit amphithéâtre d'Alexandrie, pour lui déclarer sa flamme. Le lendemain, elle lui fait comprendre son refus en lui offrant le tissu taché de son flux menstruel.
Alejandro Amenábar met en lumière la vie d’Hypatia en essayant d'être le plus proche possible de la vérité historique, même si elle est évidemment fortement romancée ici. C'est Rachel Weisz qui incarne Hypatia et elle est magnifique. Elle correspond exactement à l'image que l'on se fait de la beauté grecque. Alejandro Amenábar choisit de se concentrer sur les tensions religieuses de l’époque, en Égypte sous domination romaine. La science est un problème secondaire par rapport à l'ordre en place et le dogme imposé par la religion. Or, Hypatia est un danger pour les Chrétiens. Non seulement c'est une païenne, mais également une femme savante qui sera la première à révéler la théorie du système héliocentrique, avec le soleil centre au centre et la Terre qui tourne autour, qui plus est, non pas en faisant des cercles, mais en faisant des ellipses.
Certains personnage historiques rencontrent d'autres personnages fictifs, introduits dans l'histoire pour les besoins du récit. L'exemple le plus frappant est l'esclave Davus, personnage fictif introduit pour produire un triangle amoureux et pour montrer un personnage qui évolue du côté des chrétiens. Pour le reste, j'ai fait mes petites recherches et ça semble assez fidèle à la réalité, même s'il y a quelques éléments exagérés pour accentuer la dramaturgie du film. De toute façon, il ne reste plus rien des travaux d'Hypatia et sa biographie est elliptique ... désolé pour le mauvais jeu de mot, je n'ai pas pu m'en empêcher.
Le changement des mentalités dépeints ici et les événements tumultueux qui en découlent, qu’ils soient historiquement exacts ou non, servent d’exemple. Fondamentalement, c'est la fin d’une époque, la religion prenant de plus en plus de place au niveau politique, social et culturel de la cité. Bien que l'histoire d'amour semble un peu forcée, elle trouve justification dans l’idée que les chrétiens prennent le pouvoir au détriment des juifs et des païens et plus important encore, forçant Oreste à jouer leur jeu politique ...
et en trahissant Hypatia, ce qui la condamne à mort, elle la dernière libre pensée (et la femme qu'il aimait). On serait presque dans une tragédie grecque.
Les spectateurs qui se soucient de la vérité historique, quelle qu’elle soit, devraient se soucier de quelque chose ici. En effet, il n’y a pas assez de faits historiques vérifiés et vérifiables, pour que nous puissions raconter une histoire factuelle des événements. Or ici, dans ce film en particulier, nous ne devrions pas prendre les choses "pour argent comptant", mais les considérer comme des métaphores. Les personnages représentent ce qu’ils représentent, dans leur contexte. Tout est métaphore ici, y compris l’acte physique de destruction de la bibliothèque. C'est une destruction de la connaissance (des livres en arrière plan) et non du lieu physique (le bâtiment).
La bibliothèque d'Alexandrie est un bâtiment intéressant, puisqu'il est au centre du récit. Tout d’abord, vous avez l’école grecque (les savants) qui contrôle la bibliothèque et le peuple d'Alexandrie qui est à l’extérieur. Ensuite, les chrétiens prennent de force la bibliothèque, jettent les Grecs dehors et transforment les lieux en quelque chose de plus proche de la pensée de l'église. Les savants grecs restants, sont alors rejetés à la périphérie et l’Agora, centre de discussion sociale, devient centre d’émeutes. Celui qui contrôle la bibliothèque, contrôle la cité et Hypatia est condamnée à poursuivre ses recherches en dehors de la ville ... elle devient marginale par rapport au nouvel ordre.
D'un point de vue visuel, c'est là qu'Alejandro Amenábar s'inspire de la mise en scène des péplums pour l'appliquer à son film. C'est un péplum parce qu'il y a de longs plans séquences et parce que les décors majestueux du films semblent avoir été tous recréés en studio, à l'image du Cléopâtre de Joseph L. Mankiewicz ou du Ben Hur de William Wyler. Mais voilà, le résultat est plus que mitigé, j'ai plus eu l'impression de voir un téléfilm tourné à Cinecittà, qu'à autre chose. Les décors semblent être faits de carton pâte et les mouvements de caméra semblent être plus mécaniques qu’ils ne devaient l'être, comme si Alejandro Amenábar n'arrivait pas à s'approprier l'espace qui l'entoure.
Agora c'est Hypatia et Hypatia c'est Agora. Tout l'intérêt du film c'est donc Hypatia et tout le reste déçoit vraiment. Alejandro Amenábar a trouvé un sujet et un personnage intéressant, mais manifestement il n'a pas eu les moyens de ses ambitions. Le film semble s'évertuer à supprimer sa personnalité pour n'en faire qu'un symbole. Hypatia a souvent été considérée comme une martyre de la science, ce qui est vraiment dommage, puisque l’histoire semble contredire cela. Et puis si Rachel Weisz est fabuleuse dans le rôle d'Hypatia, à contrario les rôles masculins sont peu convaincants, ce qui empêche le film de décoller vraiment.
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Créée
le 15 mai 2022
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