Il m'en aura fallu du temps. 5ans et demi, pour être précis.
Décembre 2009 : du haut de mes 11 ans, je tiens dans mon mes mains mon premier numéro de Studio Ciné Live. Aujourd'hui porteur de la marque du temps (déchiré, mouillé, corné) le magazine est plus que symbolique. Pour la première fois de mon existence je savais tout des films du moi. Avec en tête l'Avatar de Cameron, évidemment.
Mais isolé dans le coin bas-gauche de la page 34 se trouvait une critique, un peu tristounette d'ailleurs, d'Agora. Sans savoir pourquoi, et sans ne jamais avoir vu aucun extrait du film, j'ai été attiré durant près de 6 ans par ce film que je n'ai finalement pu voir qu’aujourd’hui.
Pourtant assujetti à des expectations vibrantes et démesurées, fruit d'une fascination inexpliquable sur une oeuvre je ne savais rien, le film ne déçoit pas.
Ce que l'on retiendra tout d'abord ce sont les images. On savait le goût d'Amenabar pour les images soignées, les plans calculés et millimétrés, style qu'il n'a cessé de développer au fil de ces (rares) films.
Agora semble être l'acmé de ce développement. L'achèvement de l'élaboration artistique du réalisateur. Ce dernier maîtrise 'image à la perfection et joue avec sa caméra. Plans renversés renversants, contre plongées prenantes, plongées vertigineuses, jeux de focus bluffant, l'espagnol nous scotche par ces plans qui font son film à eux-seuls.
La caméra sublime ce qu'elle filme et sait capter l'épique dans les décors majestueux du film. Additionnés à des plans célestes sublimes (qui à de nombreux égards pourraient symboliser un regard moqueur divin), l'oeuvre respire par cette puissance de l'image qui bouleverse le visionnage et fait battre notre cœur deux heures durant.
Dario Marianelli apporte par sa musique puissante une touche d'authenticité et d'orient à ce peplum qui se dépasse lui-même.
Car loin de se contenter d'illustrer un événement historique (les révoltes chrétiennes d'Alexandrie au IV° Siècle après J-C par le prisme de l'évocation d'Hypatie, seule femme philosophe et scientifique de l'époque), le film dépasse le propos et assume avec honneur son sujet délicat qu'est le fanatisme religieux.
Et en cela, avoir attendu près de 5 ans pour voir ce film aura été bénéfique. En effet, lorsque l'on considère les événements de ces derniers mois, on remarque que le film se distingue subtilement par une dimension actuelle brûlante. Dur est de ne pas penser aux crimes fanatiques des islamistes, à la tentative de destruction du passé et de la culture d'un peuple...
Loin d'être polémique (même s'il a du en faire trembler plus d'un) le film propose une lecture purement désintéressée de la religion, ne la voit que comme une pomme de discorde futile entre les hommes, fruit des violences les plus insoutenables et injustifiées. Et ce par le biais de cette Hypatie qui durant tout le film, plus haute que le débat quotidien qui bouscule sa ville, tentera de résoudre les vraies questions, celles qui concernent les hommes dans leur globalité ; les questions philosophiques et scientifiques. Alors que certains critiques l'on trop rapidement comprise comme une tentative féministe, le personnage subtilement incarné par Rachel Weisz, se contente simplement d'être la femme qu'elle est, de penser ce qu'elle pense.
Jamais glorifiée mais jamais dénigrée, Hypathie ne demeure qu'un symbole d'une réalité bien plus globale, celle de la religion et de ses conséquences. En proposant une lecture païenne de l'histoire et en renversant la situation par la présentation d'un christianisme fondamentalement mauvais et violent (on ne peut s'empêcher de penser aux évocations rapides et superficielle faites à propos de l'Islam aujourd'hui) le film assume fièrement son parti pris, et ne s'en détourne jamais, sans jamais laisser place à la facilité, grâce à un scénario qui accumule avec élégance les inventions narratives prouvant son rôle de fiction.


Lourde tâche est de proposer une évocation globale d'Agora tant le film, surement le plus grand de son réalisateur, brasse avec puissance un souffle épique intrinsèque alimenté par des sujets contemporains brûlants.

Charles Dubois

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