Tourné avec une seule caméra par un Herzog âgé de 28 ans, « Aguirre, la colère de Dieu » est une légende fabriquée de toutes pièces. Une quête de l'Eldorado qui se transforme en folie mégalomane, où l'hébétude côtoie sans rougir la fièvre et la fureur d'un Kinski qui tutoie les cimes.
Affronter l'absolu, la jungle à perte de vue. Les tourbières inaccessibles des affluents de l'Amazone, la canopée de l'immensité végétale, décor suffocant, où tu deviens l'égal des insectes qui t'entourent.
Et Lope de Aguirre en suppôt du chaos.
Les natifs invisibles aux silences inquiétants, l'humanité qui se délite tandis que procèdent les hommes et lentement, se décomposent. La graine insidieuse de la folie germe en leurs esprits et petit à petit, ils se fondent à la forêt tropicale, juste une excroissance, quelques feuilles de plus. La fièvre chlorophylle .
Sanglé de cuir pour tenir debout, Kinski se déplace en titubant, difforme, une bosse sur la cuirasse, l'épée portée presque sous son menton. Le visage battu par une grimace immarcescible.
Il a le cheveu blond, long, sale, et le regard incandescent.
Un type qui hurle au point de faire s'écrouler un cheval.
On sent la mort qui approche et avec elle, son inceste morbide.
Ils sont grotesques, abreuvés de chimères et cette expédition qui commençait par un plan magnifique, en mouvement cette procession à mille pattes, à flanc de montagne, quand les brumes et la clarté semblent faire bon ménage, prend des allures de manège, semble tourner en rond au fil de l'eau. Jusqu’à ne plus être qu'immobile.
Ce cheval, cette femme, abandonnés, inexorablement dévorés par la végétation.
Cet alliage miraculeux de reportage et de fresque religieuse où le malin s'insinue, la spirale qui te mène dans le gouffre, qui réveille l'animal et ce reflet dans le miroir qui te dit que t'es un Dieu.
Un voyage à la lisière d'un territoire inconnu, plus grand que l'homme.
Où les casques rouillent comme les illusions.