Il était une fois au Pérou
XVIème siècle. Une expédition de conquistadors sous le commandement de Gonzalo Pizarro descend du Machu Picchu et se retrouve bientôt stoppée net au plus profond de la jungle. Un groupe commandé par Don Pedro De Ursua est chargé de remonter la rivière pour trouver du ravitaillement. Don Lope De Aguirre s'oppose à Ursua, le neutralise, nomme Don De Guzman "Empereur d'El Dorado" et décide de partir à la recherche de ce royaume fantasmé.
Une expérience unique que ce film. Ça commence comme une quête de l'El Dorado après une magnifique descente serpentant le long des Andes jusque dans la jungle. Mais très vite, le spectateur est amené à s'en désintéresser pour finir par ne plus contempler que la lente dérive (au sens propre comme au sens figuré) d'un groupe mené par Aguirre, une sorte de Don Quichotte complètement déraillé, irrationnel et malfaisant, un prophète en armure de soie et de fer au regard torve, menaçant et halluciné qui se prend pour la colère de Dieu incarnée. Il fait régner une parodie de justice et demeure le seul maître à bord, Guzman lui servant de Sancho Pança, souverain fantoche et goinfre d'un royaume chimérique. Il fallait tout le talent et toute la démesure (pour ne pas dire la folie) de Klaus Kinski pour donner corps à un tel monstre de folie et de furie tranquille entre invectives et pantomime, rongé par l'avidité et même attiré par sa propre fille. Ses moulins à vent ce sont les indigènes cannibales. Ils sont bien réels mais font corps avec la jungle et y disparaissent à volonté avant de frapper mortellement, les coups de canon et les arquebuses ne sont ainsi d'aucune utilité.
Aguirre a beau ne pas être une vraie fresque historique, le personnage principal n'en représente pas moins une allégorie de la conquête du Pérou à lui seul : folie sanguinaire des conquérants à l'égard des natifs, guerre fratricide entre conquistadors, avidité ... La scène où l'indien laisse tomber la Bible par exemple est directement inspirée de la chute de l'empereur Inca Atahualpa, exécuté en 1533 par les espagnols avec ce même "blasphème" pour prétexte.
Une lente agonie de la civilisation par la folie d'un seul homme, ponctuée d'ironie à mesure que les hommes tombent comme des mouches ("Qu'est-ce qu'un trône sinon une planche de bois recouverte de velours" "Les longues flèches sont à la mode" ...), une épopée de l'absurde filmée comme un reportage dans des conditions extrêmes (des accidents et des improvisations ont même été gardés) et magnifiée par la musique New Age d'inspiration sud-américaine du groupe Popol Vuh.