Une histoire de solitudes, en miroir. Des solitudes, mais pas absolues.
Solitude du jeune réalisateur letton, Gints Zilbalodis, qui ne craint pas de se faire homme-orchestre pour créer lui-même, le scénario, le dessin, son animation, la 3D, la musique et les sons...
Émerge de cet isolement démiurgique un territoire insulaire, renversant de beauté, que parcourt un jeune garçon. Les premières images le présentent, atterri là accidentellement, retenu par son parachute accroché à la silhouette d’un arbre squelettique. Scène qui convoque inévitablement l’immense roman de William Golding, « Sa Majesté des Mouches » (1954). Mais là où la multiplicité des petits humains, arrivés par accident sur l’île, devenait la source de tous les dangers, en une vision infiniment pessimiste de l’humanité et de la supposée « innocence » enfantine, l’enjeu sera autre, pour le jeune garçon sans nom. Il s’agira pour lui d’échapper à la solitude mortifère à laquelle l’a voué le crash de son avion.
Construit en quatre chapitres aux titres infiniment poétiques - « L’oasis interdite », « Le lac miroir », « Le puits aux rêves », « Le port dans les nuages » -, le film accompagne la fuite éperdue du jeune homme et sa traversée de paysages somptueux, qu’ils soient végétaux, aquatiques ou minéraux. Le dessin - sauf pour « Le lac miroir », d’une pâleur bleutée éclatante - est souvent très sombre, fréquemment nocturne ou enténébré, mais Gints Zilbalodis excelle à en faire sourdre une lumière fascinante, qui inviterait à l’abandon tout autant qu’elle ménage un espoir et propulse le héros dans une fuite en avant.
Une fuite favorisée, comme en un conte où les adjuvants surgissent opportunément sur le chemin du protagoniste, par une moto providentielle qui transporte le personnage d’un univers à l’autre. L’influence du jeu vidéo est perceptible, dans ce franchissement de paliers successifs, mais le dessin est suffisamment poétique et inspiré pour que l’adhésion du spectateur ne soit pas contrariée. D’autant que, comme en un conte encore, le parcours du héros le met en présence d’animaux successivement croisés. Le plus fidèle d’entre eux sera un petit oiseau ayant appris le vol, ce qui lui permettra d’escorter l’humain d’un espace à l’autre, et parfois même d’intervenir. Car une autre créature sera côtoyée, silhouette humanoïde massive et inquiétante, dont on peut se demander au début si elle n’est pas protectrice, jusqu’à ce qu’on découvre inanimées les petites vies sur lesquelles elle s’est abattue. Incarnation des peurs, de la menace, de la mort... Elle poussera le jeune motard jusqu’aux rives de l’île ; espoirs d’un nouveau départ ?
Après sept courts tout aussi solitairement réalisés, ce premier long-métrage, délesté de tout problème de traduction, puisqu’il ne comporte aucune parole, livre une histoire universelle, comme un rêve éveillé, dont la portée philosophique questionne sur ce qui fait avancer l’être humain et lui permet de tenir debout. Ceci dans un « ailleurs » radical, puisque le héros se retrouve dans un « ailleurs » absolu, duquel il n’en finit pas de fuir vers un « ailleurs » escompté, constamment dérobé et constamment renouvelé...