Probablement l'un des films qui m'a fait le plus pleurer, et de loin. De ceux dont on se dit que ça va même trop loin dans la déprime, la noirceur, la pesanteur : trop de tragédie tue la tragédie, quelque part. Et pourtant ça marche, car c'est beau. C'est triste, mais c'est beau. Beau, mais triste.
Forcément, un enfant atteint d'un cancer, qui décline sous le regard impuissant de ses parents : existe-t-il situation plus monstrueusement terrifiante, contre-nature, inhumaine, que celle-là ?
La scène de l'enterrement, le petit cercueil blanc, les voix qui s'élèvent en choeur dans un go to sleep, little baby et vous voilà assiégé par la puissance émotionnelle dévastatrice de cette histoire.
J'avais déjà été bouleversée lors de mon premier visionnage de ce film il y a 3 ans : le revoir alors que désormais deux enfants de mon sang dorment à quelques mètres, c'est la certitude d'en être encore plus retournée. Identification, tout ça.
Felix Van Groeningen fait se rencontrer, en Belgique, une tatoueuse sexy (Elise) et un joueur de bluegrass barbu au coeur tendre. Via une chronologie déconstruite, qui mélange flashbacks et projections, le réalisateur nous fait passer des débuts de leur histoire à la chambre d'hôpital de leur fille, puis retour au présent et aux difficultés rencontrées par le couple qui se délite peu à peu. Elle n'attrape plus son regard sur scène, évite sa main tendue, refuse l'étreinte, se dérobe, se défile, s'échappe. Son attitude nous semble cruelle - elle est surtout désespérée.
L'intelligence de cette construction non-linéaire, c'est de permettre au spectateur de reprendre son souffle : entre deux drames, on passe aux doux souvenirs de quand tout allait encore bien, à un superbe moment musical sur scène, ces romantiques voix en duo, et les yeux de ce couple qui s'aime tant. Le contraste entre le bonheur passé et les tragédies présentes en est d'autant plus saisissant.
Le film nous met face aux réponses que nous tentons de trouver quand frappe l'horreur : Elise se situe plutôt du côté d'un certain panthéisme, pensant voir sa fille dans un oiseau qui passe ; Didier, lui, en veut aux faux espoirs que fait miroiter la religion, ce Dieu qu'on dit miséricordieux et si bienveillant mais qui autorise pourtant toutes les tragédies, et qui est en fait pour lui la source de tous nos maux. Chacun tente comme il le peut de survivre, de garder la tête hors de l'eau, pour éviter tout simplement d'en finir.
On pourrait reprocher au scénario d'être un peu vide et de trop empiler les événements chaotiques, un peu comme le faisait Inarritu dans ses Amours chiennes ou 21 grammes.
Peut-être.
Mais Broken Circle Breakdown est sauvé par son esthétique, l'interprétation déchirante de ses acteurs, la mise en tension de ses situations et sa bande-originale qui tente d'insuffler un peu de gaieté à ces heures sombres. J'ai également beaucoup aimé la manière très contemporaine dont le réalisateur fait refluer les souvenirs dans la mémoire d'Elise, une émouvante plongée psychédélique du meilleur effet.
Comment survivre quand la plus violente des tragédies vous frappe ? Certains se murent dans le silence, d'autres font montre d'une solidité insoupçonnée : ce film nous montre bien le cataclysme que constitue la perte d'un enfant pour un couple, sans pathos, sans mièvrerie. Juste avec des larmes et de la musique, quelques étoiles qui brillent et meurent, un oiseau imprudent et des regards brillants.
Somptueusement poignant.