Alexandra est l'émissaire que Sokourov envoie de Stavropol pour « couvrir » la guerre en Tchétchénie. Difficile de ne pas mettre ce genre de terme journalistique face à la volonté du réalisateur de donner une vision claire et nette de la situation, qui serait documentaire si elle n'était pas orientée. Mais cette orientation, c'est de la passion.


Descendue de la ville vers le Caucase, Alexandra est de ces gens que les militaires ne voient plus prendre la peine de voyager. Quant à l'ex-chanteuse d'opéra, Vichnevskaïa, à presque 80 ans, elle joue une grand-mère veuve depuis deux ans qui veut voir son petit-fils avec le mince espoir de le ramener à la maison, ou du moins à la raison. Elle traversera l'incompréhension des soldats en visitant le camp, et l'ironie voudra qu'elle soit mieux comprise des Tchétchènes - l'Ennemi - que de ses compatriotes.


Questionnant ainsi l'identité russe et critiquant la guerre de manière aussi ouverte que souterraine, Sokourov crée le film d'anti-propagande ultime, une leçon d'humanisme malheureusement inaccessible aux soldats-mêmes qu'il dépeint. Non que ceux-ci soient dénués de valeurs, mais on ne leur donne pas l'occasion d'en changer, et ils perpétuent malgré eux une belliquosité qui fait l'affaire du régime.


« La force ne réside pas dans les armes ni dans les bras », avertit Alexandra - et ses mots de se perdre dans l'air étouffant. La grande dame qu'elle fut dans la vraie vie est ici mise devant une violence silencieuse et invisible contre laquelle elle doit se battre comme si c'était devenu sa réalité, ce pour quoi elle sera honorée au moment de son départ du camp par une femme tchétchène et ce lapsus volontaire : « j'irai vous voir à Saint-Pétersbourg », la ville natale de l'actrice. Ses paroles auraient mérité de franchir les montagnes et la mer, mais elles nous auront au moins appris qu'il y aura toujours des choses dont on ne peut pas soupçonner qu'elles ne sont pas supposées se rencontrer.


Quantième Art

EowynCwper
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le 14 nov. 2020

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Eowyn Cwper

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