Le personnage d'Alice nous invite à entrer dans le récit qu'elle raconte et vit à la fois, où elle joue le rôle de narratrice et de protagoniste. Ainsi, l'accent est mis sur la possibilité d'agir de la jeune fille dès la première scène au bord de la rivière. De plus, Alice enjoint le spectateur à fermer les yeux afin de mieux voir. Bien sûr, étant donné l'histoire qu'on lui connaît, nous pouvons voir ici une invitation à explorer "l'épanchement du rêve dans la vie réelle", ou inversement. Toutefois, étant donné l'importance accordée par le réalisateur aux qualités tactiles des objets qu'il manipule, nous pouvons entendre dans cette adresse une exhortation à toucher l'image plus qu'à la voir. Cette primauté du toucher peut se retrouver sur les visages burinés des possibilités du dialogue de Svankmajer. Tout le film continuera d'explorer cette tactilité et la frontière entre le rêve et la vie.
Cette dernière limite est mise en scène par l'usage conjoint des prises de vue réelles et de l'animation, qui conjuguent dans une sur-vie les éléments du rêve et de la réalité. Nous trouvons la maison de poupée dans le pays merveilleux, ou encore les ciseaux, les clefs les tiroirs. Après s'être approchée de l'inconscient par une course dans un champ de patates, qui joue le rôle d'intermédiaire entre les deux mondes, Alice se retrouve au plus près de l'inconscient. Dans ce nouveau continent, dans la cave d'une maison ordinaire, Alice fait une expérience gustative. Elle réitérera l'expérience en goûtant encore à l'encre, puis à l'huile. Elle appréhende son monde avec ses mains plus qu'avec ses yeux, comme elle l'a d'abord suggéré au spectateur. Cette initiation tactile, après les échecs que l'on sait avec les gâteaux, fait place à une nouvelle forme d'appréhension du monde.
Dans une deuxième partie, Alice ne se modifie plus narcissiquement, mais une bouchée de champignon lui permet de modifier son environnement, non sans une évocation psychotrope. Ainsi, elle prend le contrôle de la maison de poupée dans laquelle elle était d'abord enfermée. Nous voyons naître une femme en pleine possession de ses moyens, disposant non seulement de l'histoire qu'elle vit et nous raconte, mais aussi du monde qui lui fait face. Cette quête d'autonomie culmine dans la confrontation avec la reine et le roi de coeur, auxquels elle se refuse. Elle lit laborieusement dans un cahier d'écolier une confession qu'elle ne soutiendra pas. En effet, elle discute la performativité de cet acte de parole, en lui substituant celle du récit qu'elle nous conte, et crée au fur et à mesure de sa formation. Le film se clôt sur un retour possible à la réalité, où Alice affirme son autonomie jusqu'à vouloir usurper le rôle de la reine, en coupant la tête d'une chimère, celle du lapin qui l'a embarqué dans cette aventure.