Pierre angulaire de l’œuvre de Lewis Caroll, Les Aventures d’Alice au Pays des Merveilles est un récit des plus particuliers : réécrit en vue de sa publication, le vernis féerique de son récit le destinait, sur le papier, à un public enfantin. Cependant, son A.D.N. demeurant une composition satirique truffé d’une myriade d’effets nonsensiques, difficile d’y voir une histoire simplette et accessible : ce trait narratif central transpire donc jusque dans ses nombreuses adaptations, parmi lesquelles le fameux long-métrage des studios Disney.


Dans la droite lignée d’un Cendrillon, dont le contexte de production avait limité au mieux les risques, Walt et consorts optèrent pour un portage entièrement animé : un choix attenant à la complexité dudit bouquin, et, en théorie, plus en adéquation avec le jeune public visé. Pour autant, mes vagues souvenirs de ce Treizième Classique n’autorisaient qu’un semblant de curiosité, saupoudré d’un scepticisme vivace : à juste titre assurément, Alice au Pays des Merveilles démontrant d’une créativité formelle agissant tel un cache-misère (le mot est peut-être un peu fort), le fond de l’affaire n’offrant pas grand chose à se mettre sous la dent.


Figure cristallisant ses velléités scénaristiques, la pauvreté intrinsèque d’Alice n’alimente aucune forme d’empathie : personnage lunaire paraissant sous acide, son introduction sous couvert d’un décalage chronique avec la réalité laisse perplexe, tandis que ses déboires à la poursuite du Lapin Blanc n’apporteront aucun soubresaut. L’absence d’enjeux notables expliquent également pareille déconvenue, sa longue rêverie ne construisant peu ou rien dans son sillage : forcément, l’impression d’assister à une succession de sketchs/saynètes n’aide pas, le fil rouge dressé artificiellement par la curiosité maladive d’Alice excluant, qui plus est, tout émerveillement à l’égard des autres lurons fantasques qu’elle rencontrera.


Pourtant, pourtant, au détour d’un ennui grandissant se forme un drôle de charme : unique en son genre, Alice au Pays des Merveilles fait preuve d’une démarche jusqu’au-boutiste dans la représentation de son univers barré. Un gage d’originalité sur le plan formel donc, les divers protagonistes se jouant du cadre, des perspectives et autres conventions, tandis que leurs personnalités invoquent un cocktail détonnant : du non-sens bien sûr, mais aussi un art de la palabre riche en jeux de mots, invraisemblances structurées et folie débridée.


Bref, tout n’est pas à jeter au sein de ce méli-mélo d’extravagances hautement imagées, et nous ne saurions omettre d’évoquer son empreinte nullement enfantine : au cœur de ses tribulations, tenant davantage du cauchemar que du rêve, Alice nous confrontera ainsi à de véritables élans d’horreurs, quand bien même le film s’en tiendrait à l’usage judicieux du hors-champ (les huîtres dévorées, les décapitations en chaîne). De manière plus globale, la linéarité illusoire du récit achèvera de perdre en chemin le jeune spectateur, décidément bien en peine de saisir la portée d’un tel foutoir... pour peu qu’il y ait quelque chose à comprendre.


Le problème étant qu’en adaptant une œuvre aussi alambiqué, Disney ne se facilitait en aucune façon la tâche : son mauvais accueil en attestera, et il faudra attendre les années 60 pour que la mouvance hippie s’empare du phénomène (au point de lui conférer, de fil en aiguille, son statut de film culte). Atypique à défaut d’être captivant en somme, Alice au Pays des Merveilles mérite tout de même le coup d’œil.

NiERONiMO
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le 10 janv. 2018

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