La genèse du troisième volet de la saga Alien démarre dès 1986, tout juste après Aliens. Avec les scores enregistrés par le film au box-office et les critiques unanimement positives, les dirigeants de 20th Century Fox ne comptent pas s'arrêter en si bon chemin et approchent Brandywine Productions dans l’optique de créer de nouvelles suites. Toutefois, les producteurs David Giler et Walter Hill ne sont guère enthousiastes. Ils souhaitent, il est vrai, mettre un point final à la franchise et se consacrer à d'autres projets.
Dès 1987, William Gibson, auteur de science-fiction et père du mouvement cyberpunk, est engagé au poste de scénariste par Walter Hill et David Giler, qui lui fournissent leurs idées. Gibson se met à l’écriture et leur sort une première version du scénario. Inspiré par le contexte de la guerre froide, l’intrigue devait s’étendre sur deux parties. Le script racontait la lutte entre la compagnie et un groupe de militaires à l’idéologie communiste ayant fui la Terre, chaque partie disposant d’une race d'aliens en guise d’armes. Il y était également question d’un virus qui, une fois propagé, transforme les humains en aliens.
David Giler et Walter Hill ne sont pas convaincus et demandent à William Gibson de revoir son scénario avec l’aide du jeune réalisateur Renny Harlin qui vient d’être engagé pour mettre en scène le film. William Gibson prend très mal cette décision et quitte le navire. Seul maître à bord, Renny Harlin réfléchit donc à une histoire située sur la planète d’origine des xenomorphes, puis à une invasion de la Terre par les Aliens. Néanmoins, ces idées sont toutes rejetées par les studios. Renny Harlin reste attaché au projet avec cette fois Eric Red au scénario. Ils écrivent un script sur des militaires amnésiques qui se réveillent dans une station spatiale et découvrent que d’étranges expériences y sont réalisées. Des scientifiques combinent, en effet, de l’ADN xenomorphe avec celui de différents animaux et le film devait se clore sur la transformation de la station en créature Alien géante. Le scénario ne convainc que très peu de monde et Eric Red est renvoyé.
Vient ensuite David Twohy en 1989, qui propose une histoire se déroulant dans une prison spatiale où tous les détenus sont utilisés comme cobayes par la compagnie Weyland-Yutani pour donner naissance à des xenomorphes. Le scénario plaît à David Giler et Walter Hill, mais pas à Renny Harlin, qui estime que le public ne s’attachera pas à des prisonniers. Lassé des indécisions des producteurs, il abandonne le projet.
Vincent Ward est engagé pour remplacer Renny Harlin à condition qu’il puisse changer plusieurs détails dans le scénario. La 20th Century Fox donne son feu vert et engage le scénariste John Fassano pour l’assister, mais sans prévenir David Twohy, qui travail toujours sur sa version. Quand Fassano le contacte pour lui expliquer la situation, Twohy claque la porte et emporte avec lui son scénario.
Désormais réalisateur, Vincent Ward imagine alors une histoire se déroulant sur une planète abritant une population monastique, coupée du reste de l’univers et sans technologie. Si Vincent Ward pense disposer de temps pour développer l’intrigue du film, la Fox douche rapidement ses espoirs en lui annonçant pouvoir sortir le film en 1990. Vincent Ward part donc en Angleterre pour superviser la construction des décors tandis que le scénario subit encore plusieurs réécritures. Au bout de quelques semaines, les producteurs finissent par douter du projet mené, notamment son côté médiéval qu’il juge incompatible avec la saga. Après une réunion où ils demandent à Vincent Ward de revoir son script, ce dernier refuse toute concession et quitte la partie avec John Fassano.
Pour la Fox, c’est la catastrophe. Des millions de dollars ayant déjà été dépensés pour la construction des décors et le cachet des scénaristes, le film doit impérativement être tourné au risque de provoquer la banqueroute. David Giler et Walter Hill sont donc dans l’obligation de remanier le script à la va-vite. Pour cela, ils s’inspirent des précédents travaux et gardent le concept de prison spatiale, ainsi que l’intrigue et la structure du scénario de Vincent Ward.
En parallèle, Brandywine Productions et 20th Century Fox portent leur choix sur David Fincher, tout juste 29 ans, pour réaliser le film.
Les ennuis de scénario ne s’arrêtent hélas pas là et David Fincher entame les prises de vues en 1991 dans des conditions épouvantables. Le budget est revu à la baisse, tout comme la durée du tournage. Le jeune cinéaste doit faire avec d’interminables réécritures de la part des producteurs, changeant constamment la direction de son film, dont il perd peu à peu le contrôle.
David Fincher, qui signe son premier long-métrage, n'a jamais caché son désaccord avec la Fox concernant de nombreux passages du film. Fincher a presque été jusqu'à renier le film, effectuant la totalité des prises de vue mais quittant la production avant le début du montage.
Alien 3 sortira en 1992, faisant fi de tout ses soucis de production.
Ripley, Hicks, Newt et ce qui reste de l’androïde Bishop se sont échappés de la planète LV-426 et sont placés en cryostase. Mais un incident causé par un facehugger, qui s’était introduit dans le vaisseau, provoque l’éjection de leurs capsules. Tous s’écrasent sur Fiorina 161, une planète abritant un pénitencier, où vivent des criminels convertis au fondamentalisme religieux. Ripley est la seule survivante. Recueillie par les superviseurs de la prison, elle est en outre la seule femme dans un univers d’hommes. En demandant à examiner les corps, Ripley craint la présence d’un xenomorphe entre les murs.
Les premières minutes annoncent la couleur. Finie la thématique sur la famille et la potentielle intrigue sentimentale entre Ripley et Hicks. Newt meurt noyée dans sa capsule, Hicks est empalé, l’héroïne se retrouve plus seule que jamais sur une planète déserte, balayée par des vents violents et des orages, peuplée de criminels. Un choc pour le spectateur ayant apprécié les deux premiers volets, mais une prise de risque qui s’avère payante et donne un second souffle à la saga. David Fincher se veut ambitieux et démonte le matériel de base.
Cette troisième aventure dans l’espace fait entrer son spectateur dans l’horreur autant psychologique que graphique. Ripley est entourée de violeurs et de psychopathes qui n’emportent pas la sympathie, si bien que le public ne sait jamais à qui se fier. Les décors du pénitencier sont sales, vétustes, glauques et font froid dans le dos. L’héroïne et les prisonniers n’ont aucun moyen pour se défendre et leurs munitions se résument à des lampes torches et autres produits inflammables. Misant tout sur la sobriété et le minimalisme, jouant beaucoup avec les nerfs et la patience, le film est sombre, dérangeant et inspire la peur et le dégoût à chaque plan.
En revisitant la menace xenomorphe, David Fincher transgresse les règles et donne une nouvelle dimension à la saga en l’enrichissant. Son film sonne comme un chant du cygne. La survie laisse place à l’abandon et la résignation, et le scénario insiste sur la malédiction de Ripley, que le réalisateur malmène tout au long du film. La perte de Newt et Hicks est autant un deuil pour l’héroïne que pour le spectateur, qui ne peut s’empêcher de partager son malheur. Moins ancré dans l’action, pensé comme le dernier chapitre, le film est profondément triste et humain, en ce qu'il représente une certaine vision du chaos, une bataille à livrer parce qu’il n’y a pas d’autres choix possibles.
Tout répond à cette idée de fatalité, en particulier la relation entre Ripley et le xenomorphe. Depuis les événements du Nostromo, le personnage n’existe qu’à travers la créature, ne sortant de son sommeil que pour lui faire face. Partout où elle se trouve, Ripley doit affronter l’un d’entre eux, si bien qu’il lui est impossible à présent de revenir à une vie normale. Héroïne maudite, elle détruit involontairement tout ce qu’elle touche et ceux qui l’entourent connaissent généralement une fin tragique. Alors qu’elle cherche à se reconstruire après la perte de ses amis, la première mort dont elle est témoin vient lui rappeler sa destinée tragique et confère au film une noirceur implacable. Cherchant une échappatoire, voulant désespérément s’en sortir, ses choix s’amenuisent au fil de l’intrigue jusqu’à une issue plutôt logique, mais terriblement poignante.
Perdant une partie de sa féminité, elle devient cependant le symbole d’une révolte. À la tête de plusieurs hommes, elle réussit à se faire respecter et se montre bien plus courageuse et téméraire que ses camarades. Le féminisme est alors de nouveau traité, interrogeant cette fois la place de la femme dans la société et le choix de disposer de son corps. L’occasion pour Sigourney Weaver de donner le meilleur d’elle-même, dans une version modernisée, passionnante et obscure de Ripley. Le crâne rasé, l’actrice livre une prestation inoubliable, qui continue d’inscrire son personnage parmi les plus mémorables du cinéma.
Outre son émancipation du second chapitre, le film vaut essentiellement pour ses personnages. Il y a ici une bande de prisonniers psychopathes. Ce sont des hommes perdus cherchant le salut et le pardon, dirigés d’une main de maître par le directeur et leur mentor, qui n’hésitent pas à les remettre sur le droit chemin lorsqu’ils enfreignent le règlement. L’arrivée de Ripley n’est donc pas un bon signe pour eux et sonne comme un test pour leur foi. La navigatrice représente, en effet, le péché originel, une tentation et donc le Diable. Elle séduit involontairement ses compagnons d’infortune, d’autant plus qu’elle porte en elle le mal et a importé, contre son gré, un monstre avec elle. Mais quand ce même monstre les massacre un à un, Ripley devient leur leader dans un ultime combat contre le xenomorphe.
Au casting, Charles Dance est le docteur Jonathan Clemens, hanté par son passé et chargé de la protection de l’héroïne. Charles S. Dutton tient le rôle de Dillon, mentor des prisonniers et religieux convaincu. L’ensemble des détenus se compose entre autre de Paul McGann dans le rôle du cruel Golic, de Danny Webb et de Pete Postlethwaite. J’en oublie sûrement d’autres.
Enfin, Lance Henriksen revient et joue de nouveau le rôle de Bishop et incarne, plus tard dans le film, celui de Michael Weyland.
Outre les malheurs de Ripley, le film traite d’une thématique chère à Ridley Scott dans le film d’origine, à savoir, le viol. Découvrant peu à peu qu’elle est enceinte d’une Reine Alien, après fécondation par le facehugger pendant son sommeil, le personnage principal ne fait plus qu’un avec son ennemi. David Fincher va ainsi plus loin dans la relation physique et malsaine entre humain et xenomorphe en expliquant les conséquences de l’insémination et attribuant au xenomorphe un statut de géniteur, alors que Ridley Scott se limitait à une chasse à l’homme.
Mais la vraie force du film est bien entendu son sous-texte religieux, que le film parsème, reprenant certains pans du scénario de Vincent Ward. Les décors du pénitencier, avec ses occupants vivant en ermite, ont des airs de purgatoire, où les criminels doivent s’amender de leurs péchés. Coupés du monde, ils sont contraints à un mode de vie monastique. De plus, la fonderie a des airs de porte des enfers. Devant des hommes n’ayant plus commis de péchés, Ripley incarne la tentation et a apporté avec elle le Diable en la personne du xenomorphe, auquel elle devra échapper avec les prisonniers. Enfin, elle porte l’Antéchrist, à savoir une Reine Alien, devient un Messie que tous suivent sans hésitation et doit faire le choix entre finir en martyr ou trahir ses idéaux.
Tout illustre cette sensation d’adieux, un dernier tour de piste avant la fin du voyage pour la navigatrice et le xenomorphe. Les lieux de l’action, la situation des personnages, la quasi-absence de la créature et le dénouement sonnent comme un testament et représentent ce qui aurait dû mettre un terme à une magnifique trilogie.
Mais Alien 3, bien que moderne et totalement affranchi de ces aînés, reste handicapé par ses soucis de production, que le spectateur finit par ressentir. Lorsque les prises de vue débutent, le scénario n’est, en effet, pas achevé et subit continuellement d’interminables réécritures. Certaines séquences filmées les jours précédents sont purement et simplement abandonnées suite aux modifications du script par David Giler et Walter Hill, provoquant l’indignation des acteurs, régulièrement contraints de rejouer les mêmes scènes avec seulement quelques changements au niveau des dialogues ou de l’action. Le comportement de David Fincher sur le plateau n’arrange pas la situation. Perfectionniste à l’extrême, il exige souvent plusieurs prises et impose ses conditions, ce qui a pour effet d’éterniser le tournage et lui vaut les foudres des producteurs.
Subissant des pressions constantes de la part de Brandywine Productions, David Fincher poursuit quand même son travail et livre une première version. Mais après une projection test très mitigée, la Fox s'aligne du côté de David Giler et Walter Hill et impose d'importants reshoots. Dépossédé de son film, David Fincher doit repartir derrière la caméra et n'a plus de marges de manœuvre. Très déçu de la tournure des événements, David Fincher refuse de superviser le montage une fois les reshoots terminés. David Giler et Walter Hill doivent alors prendre le relais et effectuent de multiples coupes et retouches, qui trahissent une certaine vision du réalisateur.
Film maudit, victime de sa genèse épouvantable, Alien 3 est une œuvre complexe et torturée, qui n’a pas à rougir de ses qualités. Mené tambour battant par son excellent casting et une belle réalisation, il propose une aventure originale, intéressante, et instaure une atmosphère noire et inquiétante, jamais ressentie dans la saga. Si il souffre de la comparaison inévitable avec ses prédécesseurs, Alien 3 renoue habilement avec les traditions grâce notamment à son climat claustrophobe : tout en réinventant les codes, il livre, en outre, la plus belle conclusion qu’un volet ait pu offrir.