Des fois, il convient aux cinéphiles de s’attribuer une pause bien méritée. Entre un film d’Hong Sang-soo ou des frères Larrieu, c’est sûr, il faut pouvoir recharger ses batteries, se remettre sur secteur, revenir à quelque chose de basique, à une position, une situation que l’on connait bien et que l’on sait confortable, un peu comme à la maison. La saga « Alien », à ce titre, montre depuis quatre décennies une formidable habilité à servir le café, par ses réussites la hissant au sommet d’Hollywood comme par ses ratages la faisant naviguer aux confins de l’abrutissement. Aussi, la perspective d’un septième épisode tachant de réconcilier la quadrilogie originelle avec les préquelles « Prometheus » (2012) et « Alien : Covenant » (2017) n’était pas sans inaugurer un point de départ prometteur, sans compter la réalisation confiée à Fede Álvarez dont le « Don’t Breath » (2016) comportait déjà les fulgurances d’un huis-clos massacreur à brûle-pourpoint.
« Alien : Romulus » n’est d’ailleurs pas sans faire songer à « Don’t Breath », notamment pour une scène où les survivants de l’équipage doivent traverser une pièce remplie de Facehuggers sans faire un seul bruit. En bon film d’horreur claustrophobique, le film revient aux piliers de la franchise, dont les deux précédents films de Ridley Scott semblaient pourtant vouloir s’émanciper. Avec « Romulus », retour aux sources : le programme narratif et thématique est quasiment le même que dans « Alien : le huitième passager » (1979), à savoir équipage d’ouvriers, ordinateur-Maman, longs couloirs glauques, et créatures baveuses tirant la langue. Après un prologue narrant la capture de la dépouille du Xénomorphe tué par Helen Ripley dans le premier film, l’exposition, de très bonne facture, suit un groupe d’ouvriers prisonniers d’une planète-pandémonium et désirant s’évader. Bien évidemment, cette évasion les mènera à explorer leur futur cercueil : une immense station spatiale flottant parmi les astéroïdes. En gros, c’est pratiquement comme « Don’t Breath », en transformant les rues abandonnées de Détroit en espace où personne ne vous entend crier.
« Loin de « Prometheus » ou « Alien : Covenant », « Romulus » n’adresse aucun grand discours, mais plonge immédiatement dans une intrigue poisseuse où la mise en scène joue avec l’étroitesse de l’espace, y coinçant les personnages et augurant la recentralisation du principal enjeu de la saga originelle : l’autodestruction, la possession, la pénétration du corps. La saga « Alien » a toujours été édifiée sur cette logique de destruction et de résurrection par le corps, par « l’organisme », argument la rendant particulièrement angoissante, les Xénomorphes se reproduisant comme des parasites : ils cherchent un hôte dans lequel pondre, afin qu’une fois née la progéniture puisse dévorer sa proie de l’intérieur. À la vision de toutes ces analogies ; de ces petits tunnels dont les portes s’ouvrent comme des anus dilatés ; de cette mise en valeur des Xénomorphes comme des bêtes à gueule érectiles ; de ces œufs en forme de vulve ; on se permet presque d’y croire : enfin un nouvel opus digne de tutoyer la délicieuse perniciosité du raffinement d’H.R. Giger, allant jusqu’à tabasser, dans son dernière acte, le pestilentiel mauvais gout dont jouissait l’épilogue d’« Alien : Résurrection » (1997). »
Hélas, Fede Álvarez s’applique si bien à rendre hommage à ses prédécesseurs qu’il finit par réduire son récit à un vaste étalage de gourmandises où l’on peine à trouver le sel. La copie est certes bravement rédigée, et présentée sans bavure, demeurant au-dessus des récentes productions en matière de science-fiction horrifique. Mais il manque justement une déroute, une originalité, un style que l’on était en droit d’attendre au vu du prestige de la saga et de l’équipe recrutée. On a plus l’impression de voir une banale invitation adressée aux nouvelles générations pour qu’elles daignent jeter un œil aux premiers films… Nous parlions plus haut de la dimension sexuelle ultra-violente inhérente à l’ensemble de la saga, et qui est ici servie avec tout le réchauffé qu’implique le fossé entre 1979 et aujourd’hui. Álvarez montre ces motifs, mais ne les exploite jamais vraiment au service de la narration, créant le suspens avec des schémas redondants (la porte qui ne se ferme pas, le bruit au bout du couloir…) jusqu’à ce qu’on puisse quasiment deviner la scène suivante. Ainsi, « Alien : Romulus » dispose des mêmes charmes qu’« Alien : le huitième passager » : un film de série B réalisé avec des moyens de série A, mais sans singularité, sans surprendre. In fine, c’est le mélange d’un slasher, d’un film d’action, d’un film d’épouvante à huis-clos, et d’un freak-show (de loin le meilleur morceau du film !) condensant habilement quatre films en un seul. En somme, « Romulus » ne pique pas, ce qui est un comble au regard des quantité jamais vues d’acide qu’il nous verse sur le crâne. Un accouchement jubilatoire certes, mais le docile bébé d’Álvarez préfère donc la salade à la ratatouille.