Il y a plus de 10 ans, James Cameron avait excité les fans du manga culte GUNNM en annonçant son désir de réaliser l’adaptation au cinéma. En plein promotion de la réussite incontestable d’Avatar, c’était la promesse d’une adaptation fidèle de l’œuvre de Yukito Kishiro.
Malheureusement, nous avons déchanté lorsque James Cameron annonça qu’il cédait sa place de réalisateur à Robert Rodriguez, le mec dont les derniers films résonnent avec Spy Kids 4, Machette Kills et Sin City 2. Nos espoirs de voir un pur GUNNM au cinéma se sont envolés.
Intitulé aux Etats-Unis, Alita : Battle Angel (adieu le doux nom Gally), le film made by Rodriguez est enfin sorti et le résultat correspond exactement à ce à quoi on pouvait s’attendre après avoir vu les différents trailers : du Disney avec une performance capture bluffante !
Produit par le duo John Landau / James Cameron (Titanic, Avatar) et co-écrit par ce dernier, Alita : Battle Angel est un cruel gâchis qui n’a de cesse de viser à côté de l’œuvre original. Durant les deux heures que dure le film, nous ne ressentirons ni la tristesse, ni le danger, ni la peur, ni la tension de ce monde devenu « décharge ». Les passants ici marchent tranquillement dans les rues de « Iron City » et peuvent même jouir des prouesses d’un cybernéticien altruiste campé par un Christopher Waltz qui assure le job. Le seul danger que rencontrera Alita dans la rue est finalement un camion qui manque de l’écraser (la cyborg ayant la tête en l’air, s’est retrouvée bêtement au milieu de la route).
Bien sûr, la nuit il y a ces fameux criminels dont la tête est mise à prix, qui même s’ils jouissent d’une belle esthétique, ne sont pas assez effrayants pour susciter une véritable peur. Surtout que nous faisons leur rencontre en même temps qu’Alita, cyborg surpuissante, qui n’en fait qu’une bouchée. Le revers de la médaille, c’est qu’en tant que spectateur, nous n’aurons jamais eu peur pour elle, nous laissant passivement contempler les scènes d’actions sans peps. Le seul moment où on ressentira une véritable tension, c’est lors de l’affrontement avec Grewischa (mix entre Makaku et Kinuba dans le manga) mais manquant toujours volontairement de visceralité.
Pourtant dans Alita : Battle Angel, nombreux sont les moments d’affrontements où les cyborgs sont mutilés. Mais PG-13 oblige (faut bien garantir le retour sur investissement de 170M$ diront les financiers cyniques et frileux), il n’y a aucun impact psychologique : tout est lisse, tout glisse comme dans du beurre, ça ne fait pas mal ni psychologiquement, ni physiquement. Je vous renvoie à la scène de démembrement du sadique Robocop 2 (1990) d’Irvin Keshner, c’était bien plus dérangeant.
Et que dire des multiples personnages « sans conscience » du film qui ne servent finalement qu’à enfumer les plus fanboys d’entre nous ? Ils ne servent pas à grand-chose. Tout simplement parce que le scénario s’évertue à censurer les moments les plus trashs les concernant alors que le manga trouvait toute son humanité durant ces moments ultra violents ! C’est la trahison la plus élémentaire : le rapport au corps, primordial lorsque l’on traite du rapport humain/machine, est ici bêtement et complètement gommé.
Cet univers aseptisé fait que nous ne comprendrons (dans le sens ressentir) jamais pourquoi Hugo tient tant à rejoindre Zalem. Dans la décharge, tout est bien trop esthétique et propre. Pas même un clochard dans la rue ! Les costumes du film sortent directement de l’usine. En ce sens, Alita : Battle Angel représente tout le contraire du mot « rigueur ». Rien d’étonnant de la part de Rodriguez, passé maître dans la désinvolture, mais plus inquiétant de la part de James Cameron. C’est à se demander même s’il n’a pas lâché l’affaire parce qu’il a bien senti qu’il était incapable de maîtriser les profondes réflexions philosophiques du manga de Yukito Kishiro.
Du cyberpunk, le film n’en garde qu’une imagerie type « cosplay ». Un punk « old school » servi par des effets visuels dernier cri. C’est finalement tout ce que l’on aura. Un challenge technique réussi mais hélas pas assez assumé de la part des auteurs : le choix de garder les « gros yeux de manga » d’Alita est très judicieux. Choix d’autant plus courageux qu’il est très difficile de rendre le regard « vivant ». Et ici, ça fonctionne très bien. Il est d’ailleurs fort intéressant de remarquer à quel point elle est ici meilleure lorsqu’elle est employée lors des séquences émotionnelles ou de dialogues que dans les nombreuses séquences d’actions dont la mise en scène et la direction artistique tendent un peu trop souvent vers le film d’animation.
En conclusion, Alita : Battle Angel reste un blockbuster plus sympathique (à l’instar de Mortal Engine) que la majorité des grosses productions Hollywoodiennes, mais la trahison élémentaire de l’œuvre originale en fait une adaptation ratée. Le cœur du manga GUNNM, c’était avant tout un monde dystopique ultra-violent à la poésie acide qui n’avait de cesse de nous rappeler que la beauté résiste à tout. Le film lui n’a aucun cœur et ne résistera probablement pas au temps.