Après un premier plan intrigant (où le ciel occupe l’essentiel du cadre) et vaguement ironique sur une attraction aquatique, la caméra s’intéresse à un paquebot qu’elle fixe de côté pendant qu’il avance : voici le personnage principal, immense et impressionnant, objet de convoitise de nombreux touristes. Suffisamment long pour laisser une impression durable, ce plan peut créer un certain malaise, car la vue ressemble à s’y méprendre à la façade impersonnelle d’un immeuble d’habitations, avec un petit balcon pour chaque cabine. D’ailleurs, on peut voir du monde accoudé aux rambardes.
Le film s’attache ensuite à montrer la vie à bord du paquebot. Un ensemble qui se veut festif, car les passagers ont payé (sans doute assez cher) pour des vacances (rien ne dit si des escales et/ou des excursions sont prévues). A bord, ce sont des centaines de personnes qui veulent toutes plus ou moins la même chose, se détendre (bronzette sur le pont, spectacles musicaux souvent un peu coquins), profiter (activités diverses : sport, gymnastique de groupe, photographie, etc.) et bien sûr manger.
Les passagers sont montrés. Il y a du mouvement, une réelle ambiance sonore et les gens parlent, mais le film ne comporte aucun dialogue réel. Dans le même ordre d’idées, on notera que l’intérieur des cabines n’est jamais montré. Par contre, le ventre du paquebot est exploré, suivant des angles de prises de vues assez originaux (l’immensité du lieu s’y prête magnifiquement).
Bref, ce court métrage documentaire laisse une impression particulière. A mon avis, il peut aussi bien dissuader certain(e)s de s’offrir une croisière, qu’inciter d’autres à faire une telle dépense. En effet, on voit l’immense majorité des passagers afficher une mine réjouie, se laisser aller et profiter. On voit aussi que certains réussissent à s’isoler pour profiter tranquillement. On peut imaginer que beaucoup recherchent les activités qui rassemblent, pour s’éclater d’une façon ou d’une autre.
Ce que le film ne montre pas : qui sont les satisfaits de cette formule « tout compris » un peu bateau si je peux me permettre ? Et quelle est la part d’autosatisfaction de façade de ceux qui se contentent de se féliciter de pouvoir s’offrir une croisière ? On trouve peut-être des éléments de réponse dans un long métrage récent au titre identique (l’expression parle semble-t-il).
Ce court (10 minutes) a l’immense qualité de montrer, en laissant leur liberté d’appréciation aux spectateurs. L’inspiration de la réalisatrice (Corina Scwingruber Ilić) fait le reste : le paquebot en personnage principal et des prises de vues originales qui mettent en valeur aussi bien le lieu que ce qui s’y passe.
Prix du cinéma suisse 2019 (court métrage), présenté aux Nuits en or 2019.