C’est toujours intéressant de suivre un auteur.
Certes, parfois ça peut ajouter de l’exaspération à notre visionnage à cause de mimiques qu’on reconnait tout de suite et qui agacent, mais d’autre fois – comme c’est le cas ici pour cet Alleluia – ça donne à voir des choses qui nous auraient peut-être échappées autrement.


Car il se trouve qu’en ce qui me concerne il s’agit là du quatrième long-métrage de Fabrice du Welz que je découvre, et force m’est de constater que ce type a un goût prononcé pour ces individus profondément cabossés ; pour ces gens qui vivent de par leur souffrance ou leur fébrilité dans un alter-monde ; pour ces personnes chez qui le renversement des règles et des valeurs finit par devenir quelque-chose de vital.
Du Welz aime troubler les lignes. Il aime voir de la beauté, de l’amour et de la sensibilité là où on n’ose jamais en chercher…
…Et c’est ce qu’il fait d’ailleurs particulièrement dans cet Alleluia


Car Alleluia c’est ça. C’est amener à voir le monstre comme un humain sensible. C’est amener à voir l’humain sensible comme un monstre.
Les rapports sont sans cesse retournés, contrebalancés, pondérés.
La brebis docile devient loup enragé ; la sorcellerie inquiétante se transforme en amusement d’enfants et les circonstances tragiques laissent parfois croire à la possibilité d’heureux événements.
On n’excuse jamais. On observe juste. Chacun est simplement renvoyé à ce qu’il est ; à ce qui l’habite ; à ces pulsions terriblement animales qui rendent en même temps les gens si humains.
D’une simple démarche d’esthète Alleluia oblige le spectateur à constater au lieu de juger ; à considérer tout cet ensemble comme un tout.
De la scène de tendresse à la scène de boucherie, tout sera tourné avec cette même élégance des cadres et de la photo ; ce même désir à vouloir lécher les corps et épouser les ombres.


Alors après Alleluia n’échappera pas au fait de vaciller sur les mêmes points que tous les autres films de du Welz : à explorer loin dans le champ de l’ambigu, il pèche parfois par excès au point de bousculer notre suspension consentie d’incrédulité.
L’enchainement des situations peut se révéler d’ailleurs assez éprouvant à la longue pour ce qui relèverait de l’intérêt d’une telle surenchère, mais je trouve malgré tout que le film parvient à se justifier sur la longueur, notamment en définissant des trajectoires suffisamment dynamiques en ce qui concerne les deux personnages pour que le dispositif puisse pleinement fonctionner…


Car oui, j’avoue qu’en ce qui me concerne, j’ai aimé que ce film fonctionne sur moi.
J’ai aimé qu’il me donne à voir cette humanité-là. J’ai aimé ce champ d’inconfort.
Ça m’a plu de sentir cette étrange curiosité morbide que ce film parvient à générer pour ses propres monstres.
Parce qu’au fond elle repose là toute la démarche de l’auteur : dans cette capacité à créer un cadre formel qui nous fasse dépasser la simple question de l’empathie ou de la morale.
Ce que nous donne à voir Alleluia c’est ça : cette capacité à percevoir Michel et Gloria aussi pour ce qu’ils sont : des êtres sensibles, aimants, passionnés…
…Autant de qualités qui, selon la manière dont on les aborde, peuvent tout aussi bien être perçus comme des pêchés que comme des vertus.


En cela je trouve que cet Alleluia est l’une des plus belles compositions de Du Welz.
Plus équilibré et ambigu qu’ Adoration, mais aussi plus mesuré que Calvaire, il apparait à mes yeux comme un beau complément à la filmographie de l’auteur ; comme une belle contribution à l’exploration d’un certain type de cinéma.
Donc merci Fabrice pour cet acte de foi.
Alors qu’il en soit ainsi. Alleluia

Créée

le 7 mars 2022

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