En dépit de tous les a priori que je pouvais avoir à l'égard du film, de la période, ou du réalisateur (je ne sais toujours pas dire aujourd'hui si j'aime ou pas Godard), je dois me résoudre à une dure évidence : je n'ai pas détesté "Alphaville". Pire, j'ai même globalement aimé l'exercice. Si ça n'est pas la manifestation du syndrome de Stockholm, je ne vois pas ce que ça peut être d'autre.
Il y a tellement de références absconses (visuelles, thématiques, citationnelles [licence artistique pour moi aussi] avec Éluard, La Fontaine, Nietzsche, Pascal etc. qui ont fini par m'écœurer), c'est une vraie orgie. On croit regarder un film noir, puis on se demande si on n'est pas en train d'en regarder une parodie, après tout... L'univers de George Orwell est pillé de fond en comble, évidemment, pour créer cet univers totalitaire dystopique, ne serait-ce que pour la référence à une forme de Novlangue qui exige de mettre à jour les dictionnaires. Régulièrement, des mots disparaissent et ce manque paralyse la pensée des habitants.
La trame SF principale n'est pas du tout compliquée, elle est étonnamment limpide pour du Godard, ça en deviendrait presque déroutant. L'ambiance est bien sûr dessinée à traits épais, avec les néons qui clignotent, la pluie, l'imper blanc, etc. Deux choses m'ont beaucoup plu : Eddie Constantine (journaliste pour le Figaro-Pravda...), pour commencer (merci Tavernier), et la voix de la machine Alpha 60 (bon avant-goût de HAL) qui semble sortie de la gorge d'un cancéreux en phase terminale — et de fait, il s'avère qu'elle est émise depuis une machine utilisée par une personne attente d'un cancer du larynx.
Mais la répétition ou utilisation abusive de certains motifs lassent, inexorablement. Les citations en veux-tu en voilà, les petites innovations formelles qui se multiplient potentiellement jusqu'à l'overdose, tout fonce tête baissée vers la caricature, c'est effroyable. Le principe de la sécheresse des sentiments aurait sans doute pu être mieux exploité, mais le minimalisme austère ambiant n'est pas si mal vu et fonctionne correctement, dans une certaine mesure. Par contre, l'opposition logique / sensation est quelque peu grossière dans sa conclusion (la poésie est essentielle). De très nombreuses fautes et expressions d'un certain mauvais goût, mais rien n'y fait, l'ensemble n'est pas ridicule.
[AB #158]