Venu des Pays Extérieurs et se faisant passer pour un journaliste du Figaro-Pravda (!), le fameux agent Lemmy Caution entame sa mission dans la cité futuriste d'Alphaville.
Ce n'est pas pas Bernard Borderie qui dirige Eddie Constantine mais bien Jean-Luc Godard. Et même si l'acteur doit se sentir égaré dans le cinéma de Godard -son personnage, du reste, confronté à l'énigme d'Alphaville, avoue souvent ne pas comprendre- il obtient là, mine de rien, un vrai beau rôle. Le film de Godard est un pastiche (plutôt qu'une parodie) tout à la fois du film noir et du film d'anticipation. Concernant ce deuxième genre, l'esthétique du film (la ville plongée dans la nuit avec ses éclairages et ses néons aveuglants) y contribue efficacement. A travers une intrigue déambulatoire et urbaine, le cinéaste évoque la menace d'une société totalitaire, soumise ici au diktat d'un ordinateur central auquel Godard prête sa voix caverneuse, fondée sur la logique et la raison et, par conséquent, condamnant les sentiments autant que la poésie.
C'est du moins ce qu'il ressort confusément de cette fable complexe, d'un discours de philosophie politique abscons qui parait témoigner de l'inquiétude du cinéaste relativement à l'évolution de la société occidentale, menacée d'uniformité et de déshumanisation (à caractère fachiste?). Au-delà d'un propos pas facile à décrypter, on reste forcément curieux du style Godard: sa mise en scène et son formalisme inventifs, hors norme, son ironie et son impertinence.