Les nôtres ont eu lieu en janvier et en novembre, les mois parisiens les plus tristes de l’année, ceux que l’on passe cachés sous la couette, préférant un bouquin ou une bonne série à une soirée arrosée, imbibée. L’hivers 2015/2016 a été interminable. Il a commencé en janvier, s’est terminé en mai puis ressurgi en juillet.


Là, c’est l’été. Les journées sont longues, belles, éclairées. Les gens se retrouvent pour fêter n’importe quel petit rien, juste pour être ensemble. C’est d’ailleurs sur une ère à pique-nique à côté du parc floral et du château de Vincennes que disparait Sandrine, la sœur de David, la mère d’Amanda. Face à cette étendue d’herbe transformée en champ de bataille, David devient adulte … ou orphelin…


« Amanda », c’est cette petite fille blonde qui dévore des Paris Brest plus grand que sa frimousse avant de dormir, qui s’inquiète quand les adultes parlent un peu fort entre eux, qui se demande s’il faut d’abord manger ce qu’on n’aime pas dans son assiette et garder le meilleur pour la fin. Une vraie petite fille de 7 ans qui n’a jamais connu rien d’autre qu’une vie joyeuse avec sa maman.


Comme dans le précédent film de Michael Hers, l’être disparu habite le film. Sauf qu’à la différence de « Ce Sentiment de l’été », Sandrine se présente au spectateur d’elle-même. Elle ne lui est pas amenée à travers les souvenirs de David et Amanda.
Sandrine est une prof d’anglais d’une trentaine d’années qui éduque seule sa fille, par choix, essuie les remontrances des parents d’élèves mécontents de son tempérament de professeur qui ne se laisse pas faire, remonte les rues de Paris avec un vélo sans vitesses et au pneu crevé, passe son permis, drague des hommes mariés sur Facebook, aime son frère… Sandrine est une battante : une femme jamais fatiguée, une femme qui a envie de légèreté, de s’amuser, d’être aimée et d’aimer. Sandrine est un très beau personnage. Elle disparait du film dans un sourire, avec ces trois énormes sacs de provisions, en route vers son autolib, son pique-nique entre amis et ce paradis des innocents.


C’est ensuite, au travers du regard de David, que l’on retrouve Sandrine. David, le miroir de cette sœur, en un peu moins rayonnant, un peu moins battant, un peu moins mature. Ce jeune homme qui quelques jours avant cette disparition, demandait à sa sœur de lui traduire en anglais les CGV de son propriétaire, doit maintenant expliquer à sa nièce de 7 ans qu’elle ne reverra plus sa maman, puis passer cette très longue journée avec elle et avec ce vide. Il ne peut même pas l’emmener au jardin des plantes car apparemment « ce n’est pas une journée » pour sortir. C’est une journée à se terrer chez soi sous la couette. Une journée d’hivers en plein milieu de l’été, une journée sans parole, sans sourire. Une journée sans cette grande sœur qui est partie sans prévenir en lui laissant trois places de Wimbledon, un appartement rempli d’accessoires féminins, une petite fille et un sentiment de deuil indéchiffrable.


Ce deuil, David l’apprivoise dans la seconde partie du film. Comme il le dit lui-même à un ami rescapé, « j’ai tenu jusqu’à l’enterrement mais là… » ? … Là, il faut apprendre à vivre avec cette nouvelle responsabilité qu’est Amanda et avec cette absente qu’il ne sait pas très bien comment intégrer ou désintégrer d’un quotidien qui reprend malgré tout. Amanda et David ne savent pas parler de Sandrine. Amanda refuse de l’évoquer mais lit tous les soirs ce livre « Elvis has left the building », formule annonciatrice que lui avait traduite sa mère, sans savoir qu’elle quitterait elle-même cet appartement Gare de Lyon, en laissant garer son vélo juste devant l’immeuble. Mais, peut-être que si l’on laisse la brosse à dent de sa mère et ses produits de beauté, elle réapparaîtra ? … Oui, Amanda est une petite fille à qui l’on demande de comprendre une situation d’adultes qui la dépasse. C’est finalement trop dur de comprendre donc autant espérer ?
David essaye de jongler entre ce chagrin d’enfant et sa propre peine. Lui-même n’arrive pas toujours à verbaliser ce deuil, comme lorsqu’il rencontre une vieille amie sans rien lui dire puis… se rétracte et prend le courage « d’avouer ». Il est parfois aussi dur de recevoir les condoléances que de réprimer des larmes. Seuls les plus proches entendent et comprennent vraiment. Seule Amanda et peut être cet amour naissant, fauché en plein vol sur cette ère du château de Vincennes avec cette jeune pianiste, aujourd’hui abimée, lui permettront de construire quelque chose de valable, de sensé, d’authentique.
Le film de Michael Hers nous donne une impression d’irréalité, d’entre-deux. Une fois Sandrine partie, nous sommes face à une situation de flottement alors même que David est en mouvement continuel : David court partout, il avance car il doit avancer, chercher Amanda à l’école, l’emmener faire du sport, du piano, aller chercher des clients au train.
Michael Hers reproduit l’image ce qu’a été Paris après les attentats ; un paradis triste où les gens ont continué à marcher pour ne pas tomber. Et puis, avec le temps qui passe, on a recommencé à courir, et retrouvé une légèreté, un peu différente de l’innocente candeur de l’automne 2015, une légèreté attentive aux choses et aux gens, une légèreté un peu plus maitrisée, un peu moins simple en somme. Paris a retrouvé ses couleurs, ses terrasses de café et ses piques niques. Elle a retrouvé ses lumières en apprivoisant son deuil.


En miroir, le film de Michael Hers ne perd jamais ses couleurs ; ses héros n’en redeviennent pas légers pour autant. Le chemin sera encore long ; la fin du film nous donne l’image de deux personnes en convalescence dans un monde pas si différent du nôtre et qui avancent vers un avenir qu’il faut envisager lumineux et solaire. Amanda a 7 ans et David 24 ans, il est trop tôt pour rester cachés sous la couette.

C-L
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le 16 nov. 2018

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