Un frère fait le dernier trajet en ambulance

Troisième critique que je consacre à Michael Bay après 6 Underground et une étude de sa filmographie (j’y avais mis du cœur allez lire ça ici : https://www.senscritique.com/film/bad_boys_ii/critique/203264357) , on peut dire que j’aime le travail de cette personne. Il faut croire qu’il est le seul capable de me motiver pour écrire avec Marvel, c’est la preuve ultime que j’ai de l’affection pour ce qu’il peut proposer. Ambulance signait en 2022 le grand retour du maître des explosions au cinéma après huit ans d’attente durant lesquels il a péniblement conclu sa saga Transformers et est passé du côté obscur de la Force (Netflix) pour le sympathique 6 Underground. J’ai le souvenir de premiers retours étonnement élogieux, je m’étais même imaginé un retournement de veste sur le monsieur...que j’étais naïf, en tout cas le public de SensCritique ne semble toujours pas apprécier le bonhomme. Pour ma part, Michael Bay s’est imposé comme l’un des réalisateurs les plus intéressants dans son domaine à savoir les films d’action et il est venu en début d’année 2022 montrer qui était le patron. Dans toute l’offre hollywoodienne sabotée par une avalanche d’effets numériques plus ou moins laids, la recette Bay fondée sur un goût prononcé pour des effets pyrotechniques pratiques dénote et fait du bien. Beaucoup de reproches peuvent être faits à ce cinéaste, j’en fais moi-même mais je ne peux cacher mon plaisir devant un film comme Ambulance qui embarque son spectateur dans une course-poursuite frénétique de plus de deux heures.


Alerte spoilers

Le scénariste Chris Fedak habitué aux séries - il s’agit du premier long-métrage sur lequel il travaille - a donné à Bay une base très solide pour déployer son style. Deux frères prisonniers dans un véhicule à la Speed, deux otages dont un gravement blessé et les forces de l’ordre de Los Angeles associées au FBI à leur poursuite, tous les éléments sont réunis pour une tension permanente. Le scénario n’a rien de complexe, il réutilise un tas de mécaniques déjà vues des dizaines de fois dans des films d’action telles que les deux frères bien différents l’un de l’autre, le braquage qui tourne mal ou encore les gangsters qui trahissent mais il en propose une version qui surprend par sa tragédie. Alors qu’on était en droit d’attendre un happy end qui dégouline de bons sentiments, entre l’amour et la fraternité (neuf opus de Fast and Furious sont passés par là), le film prend à contre-pied et condamne ses protagonistes à un destin funeste. Lorsqu’on connaît le patriotisme de Michael Bay qu’il expose dès qu’il en a l’occasion, c’est relativement étonnant de voir le métrage se conclure sur la mort d’un ex-soldat comme si le cinéaste dénonçait le sort réservé à ceux qui se battent pour leur nation. Le braquage voué à sortir le protagoniste de la misère se solde sur un vrai échec et l’idée de mettre femme et enfant à l’abri s’évapore avec la vie du personnage de Yahya Abdul-Mateen II. Avec un peu de réflexion, ce film rejoint No Pain No Gain, un des meilleurs du réalisateur, sur les dangers et l’illusion du rêve américain. Derrière ses airs de film bourrin, cet Ambulance cache donc un propos, loin d’être amené avec beaucoup de subtilité certes mais il me paraît essentiel de rappeler qu’un peu de fond au milieu du grand spectacle ne fait pas de mal.

Sur le terrain de la pure tension et densité, le scénario s’avère d’une efficacité redoutable. Le braquage qui sert d’élément déclencheur est superbement construit, la présence du duo de policiers amène rapidement un obstacle de taille. La scène est en plus aidée par le montage qui nous fait directement entrer dans le vif du sujet en coupant l’introduction dans la banque pour aller directement au moment stressant. Le long de toute la poursuite, le film sait quand il doit redynamiser son récit et donner plus d’ampleur aux enjeux en mettant à chaque fois de nouveaux bâtons dans les roues de l’ambulance. C’est comme cela qu’on arrive à la scène de l’opération chirurgicale qui est un grand moment de cinéma. Un policier blessé en otage qui est subitement aux portes de la mort, une infirmière qui n’est pas formée pour opérer et qui demande de l’aide au preneur d’otage et pour couronner le tout un appel en visio qui plante, ce qui mènera à l’explosion de la rate qui sera réglée par une pince à cheveux. La crédibilité s’est envolée mais l’empilement des problèmes réussit à rendre le tout prenant, c’est aussi pour ce genre de séquences complètement irréelles qu’on regarde un film de Michael Bay. Il n’a peur de rien et pousse la folie au maximum jusqu’à la direction d’acteurs, Jake Gyllenhaal est en roue libre et c’est tout simplement hilarant par moments.

La folie made in Bay vous savez tous où elle se trouve également : dans chaque élément de réalisation. La photographie est la même que depuis que le monsieur a commencé le cinéma, elle mélange lumières bleues et orange avec des lens flares pour faire ressentir comme dans Bad Boys la chaleur (en l’occurrence de Los Angeles). La politique bien connue des tournages du réalisateur qui consiste à tout faire exploser pour de vrai sur le tournage donne aux cascades une vraie authenticité. Michael Bay est accroc au chaos, les scènes d’action sont excessivement découpées pour non seulement donner du dynamisme (ce qui est discutable) mais aussi pour transmettre l’idée que rien n’est contrôlé, que ce soit par les braqueurs ou par la police. La lisibilité en prend un coup, de même pour notre tête mais cela n’entache jamais le spectacle qui s’offre à nous. En terme de spectacle pur, Bay est l’un des meilleurs actuellement. Cette poursuite est un peu l’adaptation des cinq étoiles de Grand Theft Auto, toutes les forces de l’ordre de la ville aux trousses des personnages qui conduit à de la tôle froissée et des explosions. Je constate que sur ce côté, le réalisateur s’est un peu calmé et c’est une bonne chose, les explosions plus rares gagnent alors en impact. Le vrai souci du montage épileptique est la courte durée allouée aux plans ingénieux. Michael Bay a toujours eu un sens affûté du cadrage, il place sa caméra dans des endroits improbables et la fait passer dans des espaces réduits (le trou d’un impact de balle par exemple) pour donner plus de grandeur à l’image. Il utilise beaucoup de procédés pour amplifier le mouvement comme un travelling rapide qui dépasse l’ambulance à toute vitesse. Le coup d’éclat de sa mise en scène réside ici dans les drones, ces outils permettant des travellings avant rapides qui nous font entrer dans l’image. Martin Scorsese jugerait sans doute ce dispositif comme une attraction de fête foraine (aurait-il tort ?), toujours est-il que le résultat est la plupart du temps impressionnant. Hollywood semble d’accord avec moi puisqu’il l’utilise de plus en plus depuis 2022, je peux citer The Gray Man des frères Russo ou le prochain Bad Boys de Adil El Arbi et Bilall Fallah. C’est pour toutes ces bonnes idées que je trouve le montage souvent frustrant puisqu’il ne nous laisse pas en profiter.

Tous les ingrédients qui composent un film de Michael Bay sont présents, pour le meilleur ou pour le pire. Le meilleur nous l’avons déjà vu, dans le pire nous distinguons les faux raccords, le drapeau des États-Unis qui serait à créditer en tant qu’acteur et les placements de produit aussi subtils que dans un clip de Ninho. En revanche, le roi des explosions s’améliore et ne filme pas son personnage féminin principal comme un morceau de viande. Il ne fait aucun doute que la plastique de Eiza Gonzalez a joué un grand rôle dans le casting, son visage bien maquillé même après les effusions de sang et les fusillades vont dans ce sens mais premièrement elle est meilleure actrice que Megan Fox, ensuite son personnage a une vraie place dans le film. Elle ne se laisse pas marcher dessus, elle tient tête aux deux frères deux fauves et sans elle le concept ne tient plus, en somme elle est beaucoup plus respectée qu’à l’accoutumée. Peu de choses sont plus satisfaisantes que de voir un réalisateur avoir conscience de ses défauts et les gommer.

Ambulance est alors une longue course-poursuite spectaculaire que seul Michael Bay aurait pu réaliser. Le n’importe quoi est de mise et ne serait-ce pas là au fond le plus jouissif ? Ça l’est d’autant plus que la générosité et l’envie de ne pas réaliser de l’action vide sont de la partie. Une fois la saga Transformers oubliée (et encore Rise of the Beats sorti l’année dernière nous fait regretter l’audace de Bay), la filmographie de celui connu comme le maître des explosions est plus intéressante qu’il n’y paraît. Force est de constater que nous avons besoin des anciens ou des cascadeurs pour rappeler à Hollywood comment on réalise un film d’action.

BestPanther

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