A première vue, le sujet n'a rien de franchement attirant : deux petits vieux sympathiques filent le parfait amour lorsque Anne fait une attaque cérébrale et est paralysée du côté droit. Son état empirant jour après jour, nous suivons la chute annoncée dès la scène d'ouverture de la petite octogénaire mélomane. Il y a plus gai.


Mais c'est sans compter le talent indéniable de Haneke pour faire d'une histoire banale un drame fort, émouvant et qui vous tient scotché à votre siège du début à la fin. Car comme souvent chez cet Autrichien, le traitement de la narration implique nécessairement une adhérence totale ou un rejet sans compromis. Les moments de pause ou d'accélération peuvent irriter mais provoquent hauts le cœur, déchirements, soulagement ou dépit.


Comme dans La Pianiste, la part belle est donnée à la musique. D'ailleurs, la narration elle-même peut être lue comme une partition : l'ouverture intrigante laissant planer le mystère, la première moitié du film comme une ballade lente, puis le tempo s'accélère, les notes se font plus pesantes, pour finalement atteindre un point culminant à la fin, les notes sont terribles, mais elles soulagent, le film peut finir sur des notes douces et mélancoliques. Cette attention à la musique va jusqu'à la figuration d'Alexandre Tharaud dans son propre rôle, nous gratifiant de quelques morceaux qui donnent à Amour une tonalité et une saveur à la fois belle et inquiétante. Le piano est la pièce centrale du film, dans un coin du salon pourtant, il représente la vie révolue de mélomane et de professeur d'Anne. Elle ne pourra plus jamais y jouer. Georges se laissera même rêver à la voir jouer alors que celle-ci est gagnée par l'infirmité.


Difficile en tous les cas de rester insensible. Les jeux d'Emmanuelle Riva et Jean-Louis Trintignant sont époustouflants et très émouvants. Autour de ces deux acteurs gravitent Isabelle Huppert et Alexandre Tharaud (moins convaincant en tant que comédien qu'en tant que pianiste) mais qui n'ont que des rôles minimes. D'ailleurs le film n'est pas sur eux. Ils ne sont que les quelques éléments extérieurs (avec le concierge) qui rappellent la présence d'un monde au delà la porte de l'appartement du couple octogénaire. Car c'est aussi ce qui fait la force du film, à part la scène du concert, tout se déroule en huis-clos. Plus de possibilité de sortir de la maladie, aucune échappatoire. Nous sommes nous-mêmes enfermés avec Anne et Georges, nous vivons avec eux leur déchéance physique et psychologique. Le traitement brut de l'image et du jeu des acteurs, tout nous donne à voir sans fioritures ni artifices l'amour mis à rude épreuve.


Car l'amour, c'est bien le thème central. Un amour inconditionnel, un amour fort mais qui ne nous paraît pas comme tel. C'est un amour pudique, protégé : point d'effusions ni d’enlacements. Tout n'est que regards furtifs, caresses délicates et fugaces, mots dérobés et silences évocateurs. Cet amour, il nous est parfois caché, on ne le perçoit plus. Puis il revient dans ces petits gestes. C'est là toute la performance incroyable de ces deux acteurs puissants. Ce couple, c'est l'amour personnifié. Cet amour brut, ce feu secret nous consume nous aussi spectateurs. Il nous apparaît évident si bien que la tension qui grandit au fur et à mesure des minutes devient insupportable.


Il faut dire que Haneke aime jouer avec nos nerfs. Car lorsque l'on est véritablement pris dans le flot narratif, alors nos émotions ne nous appartiennent plus et nous nous abandonnons au cinéaste. La scène finale devient un grand soulagement, un relâchement de toute la tension et la brutalité psychologique qui se sont exprimées jusqu'alors. Cette violence brutale, c'est celle de l'humiliation d'Anne lorsqu'on lui change ses couches, mais aussi sa dignité. C'est cette vision absurde d'une folle alitée, ne communiquant plus que par onomatopées et phrases décousues. C'est la détresse de Georges, sa volonté de protéger celle qu'il aime encore plus que tout. C'est aussi ce fauteuil roulant, toujours devant le lit, mais qui ne sert même plus. Plus aucun mouvements. Anne est figée, elle se désagrège lentement. Avant la scène finale, la gorge se resserre petit à petit, on est au bord du suffoquement, on se demande quand viendra l’apaisement et le huis-clos vient renforcer cette impression de manque d'oxygène, à la limite de l’évanouissement. Finalement, une impression de sérénité nous surprend lorsqu'enfin il nous est possible de respirer.


Du grand Haneke donc, un film au sujet puissant et intense qui ne laisse pas indemne.
Néanmoins, à ne pas regarder un jour de spleen. Pour tout autre jour gai et joyeux, c'est à voir absolument.

Yann_Colnot
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le 14 mai 2015

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La Lande

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