Suprenante et très bien composée, l’affiche montre une femme de dos (premier plan) occupant l’essentiel de la place, silhouette élégante mais anonyme. C’est Henriette Vogel (Birte Schnoeink). Au second plan, un visage masculin (regard dirigé vers Henriette) que l’observateur devine ingrat, celui d’Heinrich (Christian Friedel). Bien que le film ne le mentionne jamais, il s’agit d’Heinrich von Kleist, auteur de La marquise d’O et de Michael Kohlhaas entre autres.
Ces deux personnages sont au centre de l’intrigue. La façon dont l’affiche les présente est révélatrice. D’Heinrich, personnage passé à la postérité, le film s’attache à montrer qu’il n’était peut-être pas exactement celui qu’on pourrait imaginer. Quant à Henriette, le film la présente comme une femme ayant beaucoup de mal à se situer. Elle est mariée et mère de famille, sa relation avec son mari manque de chaleur (voir leur disposition dans la chambre à coucher), de plus son mari qui collecte l’impôt est souvent sur les routes.
Ce que l’Histoire retient, c’est qu’Heinrich et Henriette se sont suicidés ensemble. Le romantisme le plus fou dans toute sa splendeur ? L’autrichienne Jessica Hausner prend son titre au second degré pour inciter le spectateur à se méfier des apparences. Il se trouve qu’Heinrich était dépressif et qu’il voulait en finir. Il cherchait celle qui accepterait de mourir en sa compagnie, par amour bien entendu. On sait qu’il a demandé cette faveur à sa cousine Marie (Sandra Hüller) dont il savait qu’elle avait un certain attachement pour lui. On sait que, ayant essuyé son refus, Heinrich s’est alors tourné vers Henriette. Mais celle-ci n’a pas accepté d’emblée, au grand dam du sombre Heinrich. Le film montre cette suite de valse-hésitations.
Avant de s’enthousiasmer pour les qualités du film, précisons que, pour alléger le propos ou bien pour mieux justifier sa vision des personnages, la réalisatrice passe sous silence les raisons profondes qui ont poussé Heinrich à désirer la mort plus que tout. Après avoir combattu dans l’armée prussienne (époque napoléonienne), il a fait des études de mathématiques et de sciences naturelles. La lecture de Kant l’a plongé dans une profonde mélancolie. Sa tentative (ratée) de s’enrôler dans l’armée française lui a valu d’être soupçonné d’espionnage. Il a écrit pour le théâtre et la littérature. Fort d’un certain succès, il a rencontré Goethe qui lui a refusé catégoriquement la contribution qu’il lui proposait pour sa revue. Dépité, Kleist a créé la sienne.
Heinrich le romantique (envers et contre tout), espérait donc le grand amour avant de mourir. Si envisager la mort en commun avant la déchéance physique peut effectivement relever du romantisme, le film risque de laisser perplexes celles et ceux qui y chercheront des comportements typiques de ce courant de pensée.
Le film montre Heinrich comme un homme qui n’a qu’une obsession en tête. Puisque sa cousine ne veut pas l’accompagner dans la mort, il cherche une autre femme, comme s’il guettait une proie. Et quand il obtient une réponse favorable, il doute de la réelle motivation d’Henriette. Accepte-t-elle par amour pour lui ou bien tout simplement parce qu’elle considère que sa vie est finie quoi qu’il arrive ?
Quant à Henriette, même si d’abord elle refuse, elle fait bien pâle figure. Femme certes élégante et bien entourée, elle se montre très influençable, malléable. Après quelques malaises, on la dit malade. Quelle gravité ? On est certes au début du dix-neuvième siècle, la médecine est encore balbutiante (on pratique la saignée sans le moindre discernement), mais Henriette croit aveuglement ce qu’on lui dit. Situation résumée par les questions de sa fille Pauline après les consultations du médecin de famille : alors, maman vivra/ne vivra pas, selon les conclusions de l’homme de science.
Le film est donc assez déroutant car, derrière les costumes magnifiques (très belles couleurs de très bon goût), de beaux décors tout en raffinement (intérieurs richement décorés, mais sans aucune ostentation), un éclairage digne des meilleures références cinématographiques du genre, une BO intégrant des pièces de Mozart et Beethoven, on doute soudain de ce qu’est exactement le romantisme. Jessica Hausner se permet un montage qui laisse le temps à chaque scène de prendre vie. C’est judicieux et cela fait du bien de sentir que la trame se situe à une époque où le rythme de vie n’avait rien à voir avec le nôtre. Chez les Vogel (noblesse), on s’ennuie poliment, on chante, on mange et on discute. Parmi les sujets de conversation, la révolution française. On est dans un milieu qui la considère comme un échec. Le raisonnement, c’est que les serfs ne sauraient pas quoi faire de la liberté. D’autre part, Heinrich est tout sauf un personnage admirable. Le spectateur ne peut pas s’empêcher de le trouver ridicule, agaçant car égocentrique, franchement maladroit (et même malsain), dans sa volonté de mourir à deux. Pour tout dire, il est risible.
Un film intéressant qui ose bousculer les préjugés en apportant un regard décalé sur le romantisme. Heinrich von Kleist chute de son piédestal. Cela peut aller jusqu’à dissuader de découvrir ses œuvres.