J'ai donc enfin vu le multi-couronné "Anatomie d'une chute" de Justine Triet. J'avais vu (et aimé) tous ses films précédents - cette réalisatrice a un talent fou pour filmer les femmes dans la tourmente, à un carrefour existentiel, pour saisir le moindre tremblement des visages, entre puissance et fragilité.


Après avoir superbement mis en lumière Laetitia Dosch (dans "La bataille de Solférino") puis Virginie Efira ("Victoria" puis "Sibyl") et Adèle Exarchopoulos, c'est tour de l'allemande Sandra Hüller de passer devant la caméra de la jolie rousse.


L'histoire est celle d'une enquête : un père de famille, Samuel Theis (le fils d'Angélique, inoubliable "Party girl") est retrouvé mort par son fils aveugle, au pied du chalet. Seule la mère (Sandra) était présente. L'enquête démarre : sa femme est-elle coupable ou innocente ? Accident, meurtre ou suicide ? La machine judiciaire s'enclenche, jusqu'au procès qui décortiquera le couple jusque dans son intimité. Épaulée par un ami avocat (remarquable Swann Arlaud), Sandra va donner sa version des faits, tout en retenue, en pudeur, en élégance.


Le film s'intéresse moins à la résolution de l'intrigue qu'à la façon dont un procès, l'avant comme l'après, essore les corps, les âmes et les regards, écrase les individus. Certains témoins ainsi que le procureur vont vouloir charger Sandra, et la grande subtilité de ce film, c'est de laisser une grande part à la possibilité, à l'ambiguïté. Tout devient possible. L'écoute, en plein tribunal, de la dispute du couple la veille du drame, est particulièrement frappante. Et puis, Sandra est écrivain : n'a-t-elle pas écrit des choses qui auraient pu annoncer son geste, elle qui se nourrit de la réalité pour produire ses fictions ?


La cour devient le lieu de la dissection de l'intime, au vu et au su de tous, à commencer par Daniel, le jeune fils dont le regard à la fin, devant la télévision, est absolument bouleversant. Ce n'est pas "l'anatomie d'une chute" mais celle d'un couple, de son chaos, de ses secrets, de ses possibles.


Le montage, particulièrement habile et sensible, rend l'ensemble à la fois prenant et très émouvant ; la direction d'acteurs, très délicate, offre à chacun une partition d'une grande finesse qui explore les coins et les recoins de l'âme humaine.

Sandra Hüller, que j'avais découverte dans l'excellent "Toni Erdmann", et qui jongle ici avec les langues, n'a pas volé son César.


Vraiment beau.

BrunePlatine
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le 28 févr. 2024

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